Je suis né à une époque où l’école de la République nous apprenait nos droits -de l’Homme et du Citoyen : en France, « les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits« . Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Le seul devoir inscrit dans cette déclaration consiste à obéir aux lois. Ce devoir n’est en réalité que celui que le citoyen se donne à lui même en ayant participé et consenti librement à l’établissement et au respect de ces lois, de par les représentants qu’il s’est donnés.
Mais depuis quelques années déjà et de plus en plus ouvertement une autre petite musique se fait entendre… un peu comme pour le mur sur lequel sont inscrits les préceptes de « La ferme des animaux » de George Orwell : aux droits de l’Homme et du citoyen on adjoint de plus en plus souvent des devoirs -dont on a bien du mal à voir ou à comprendre quels sont-ils… Peut-il y a voir d’autres devoirs que ceux qu’on se donne à soi-même ?
Je constate que la jeunesse est la principale cible de cette nouvelle manière d’envisager les droits humains, afin d’inculquer dès le plus jeune âge à nos chères têtes blondes qu’en face de leurs droits il existe leurs devoirs, au mépris évident de la réalité. Il n’y a qu’à regarder sur « jeunes.gouv.fr » pour s’en convaincre : adieu les droits, bonjour les devoirs :
On y trouve le respect de la loi, les impôts ou le service national qui en réalité ne sont pourtant pas des devoirs mais bien des droits, et librement consentis (c’est d’ailleurs pour cela que la qualification de la majorité légale pour être citoyen « de plein droit » est fixée à un âge pour lequel il est considéré que le consentement éclairé est valable). Il faut dire et savoir que oui on a le droit de refuser, mais on en subit les conséquences car c’est la majorité des citoyens qui ont collectivement par leurs votes contribué à créer ces lois, dont il a été décidé qu’elles étaient bonnes pour la société dans son ensemble. On peut donc refuser d’être juré, ou l’appel à « servir sous les drapeaux », et en assumer les conséquences. Et puis c’est tout. Je rappelle aussi que payer les impôts n’est pas un devoir citoyen mais un acte librement consenti pour servir au bien commun de la société (Art. 14. : « Tous les Citoyens ont LE DROIT de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée »).
Il faut donc le dire et le répéter à nos jeunes que l’Etat désire embrigader dans sa lente mais continue dérive vers un régime non-démocratique, notre Constitution n’est pas fondée sur les Droits et Devoirs de l’Homme et du Citoyen mais seulement sur ses Droits.
Il est essentiel pour la jeunesse de comprendre en quoi le glissement d’abord sémantique est immense, et comment ses implications dans la vraie vie mettent à mal non seulement la démocratie comme elle a été pensée à ses origines, mais qu’en plus elles détruisent en réalité la Liberté -qui est notre seul vrai Bien.
Dans un pays libre, un citoyen est un Homme qui n’a de devoirs qu’envers lui-même. C’est lui qui se les donne, car sinon il n’est pas un Citoyen, il est un esclave. Cela signifie que si l’Etat a bien des devoirs envers les Citoyens, les Citoyens n’en ont aucun envers l’Etat. L’Etat est la « chose » des Citoyens. Ils décident ensemble et de plein droit dans l’expression de leur souveraineté quels sont les devoirs de l’Etat pour satisfaire à leur volonté commune de vivre en société. La seule raison d’être de l’Etat est de satisfaire à la volonté du peuple.
Il faut bien comprendre ce qui se joue ici avec cette notion de droits et de devoirs. Quand Emmanuel Macron dit aux migrants qu’ils ont des devoirs avant d’avoir des droits, cela est très grave. Cela signifie d’une part que les migrants ne sont pas considérés a priori comme des êtres humains libres et égaux aux autres, et d’une autre qu’on désire leur inculquer une sorte de prix de leurs droits : si vous ne faites pas ce qu’on vous dit, alors vous n’aurez pas les mêmes droits que les autres. Est-ce bien de ce monde dont nous voulons ?
Lorsque vous signez un contrat, celui-ci stipule qu’en échange de la réalisation de votre travail (votre devoir), vous recevrez une rémunération. On peut se dire que cette manière de fonctionner pourrait s’appliquer dans une société politique et cela existe déjà dans certains pays mais il faut le dire tout de suite avant d’aller plus loin : un contrat de travail est un lien de subordination. Vous n’êtes pas libre quand vous vous liez avec un contrat de travail, car vous n’obtiendrez votre rémunération que si vous effectuez les tâches inscrites sur le contrat. Si vous acceptez de mettre des Devoirs en face des Droits, vous acceptez de ne plus être libre. Vous ne vivez plus dans un régime démocratique lorsque vous vous soumettez à ne recevoir des droits qu’à condition d’avoir auparavant fait ce qu’on vous a dit de faire… et peu importe ce qu’on vous a dit de faire. Vous n’êtes plus alors des Citoyens mais des esclaves.
Cela m’avait déjà interpellé sous le règne de Nicolas Sarkozy (qui je le rappelle n’aurait s’il est jugé coupable de triche pas dû être président), lorsqu’on a voulu et laissé penser qu’en face des droits bien naturels de l’Homme on pouvait mettre des devoirs -qu’à l’époque l’Homme se donnait lui-même pour lui-même… Et puis aujourd’hui on voudrait nous faire avaler que nos droits seraient conditionnés à l’accomplissement d’un contrat qu’on nous obligerait de signer selon les termes définis sans négociation possible. Si on n’y prend pas garde on pourra alors nous dire demain que les droits sont un luxe auquel seuls quelques privilégiés peuvent prétendre, laissant les devoirs au plus grand nombre qui ne saura même plus qu’un jour il avait eu des droits.
Or quand on n’a plus de droits mais que des devoirs on appelle cela une dictature.
Regardez comment aujourd’hui on apprend à nos jeunes à aimer la Patrie en leur faisant saluer le drapeau de la France (cette idôlatrie obscurantiste) et chanter la Marseillaise (cette chanson sanguinaire) … et comment on commence à instaurer le devoir comme prévalant le droit : le fameux SNU (Service National Universel) va bientôt devenir obligatoire. Seulement ce ne sont pas les droits de l’Homme ni les valeurs que représente notre devise qu’on y apprend (puisque en réalité on les piétine), mais bien plutôt les devoirs qui incombent au jeune pour avoir l’autorisation de s’intégrer, d’obtenir ce droit à l’intégration. Et c’est avec le Service Civique qu’on l’obligera bientôt à travailler tant et plus, pour une indemnité de misère, et de la manière qu’on lui indiquera. Le retour du travail forcé pour la cohésion nationaliste, avec les « Jeunesses Macronistes ». Pas étonnant que le « RSA-jeunes » ait été refusé d’ailleurs puisque ce gouvernement rend gratuite et corvéable à merci cette jeunesse embrigadée. En lui faisant signer une sorte de « contrat obligatoire » qui scelle sa soumission à l’égard de l’Etat, qui en fait son obligé.
Qu’on ne me parle pas du brassage social et de la confrontation des jeunes avec le monde du travail que permettra sans doute une sorte de « mixité », de « découverte des uns et des autres » car certainement cette conséquence doit être rangée dans la catégorie « effets indésirables » de ceux qui mettent ça en place ; d’autant que comme dans « 1984″ il est fort possible que le prolétariat (les pauvres) ne soit même pas concerné par cette mesure tellement pour le pouvoir « ceux qui ne sont rien » ne valent que le mépris dont ils sont l’objet.
Quoiqu’il en soit, la basculement idéologique que constitue cette confrontation des droits aux devoirs nous pousse dans une pente qui augure mal de notre futur… Si on accepte cette manière de penser il faudra constater la fin du Citoyen et de ses Droits. La déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen sur laquelle repose notre pays et nos valeurs sera alors caduque. La liberté et la démocratie qui s’appuyaient sur elle ne seront plus.
Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr
20 juin 2021
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