La place des « classes moyennes » dans le mouvement des indignés

Aux Etats-Unis, les indignés se font appeler les « 99% », soulignant par ce chiffre le ratio qui les oppose aux 1% qui possèdent le pouvoir effectif. Pourtant, et malgré l’optimisme relatif de ce chiffre (en réalité c’est même moins d’un pourcent !), il n’est nul besoin d’être mathématicien pour constater qu’il y a loin entre l’annonce et le résultat : dans la rue se trouve en réalité bien moins même que le petit pourcent contre lequel les 99 autres pourcents sont censés lutter.

 

Comment expliquer ce décalage ? Alors que la démocratie signifie « le gouvernement du peuple par (et pour) le peuple » (ce qui implique traditionnellement la définition au suffrage universel direct d’une majorité), il se trouve qu’en réalité seuls les 1% dirigent effectivement, au nom des 99%, et cela avec leur consentement !

Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment, et alors que la majorité de la population subit constamment l’exploitation d’un tout petit nombre, comprendre que le peuple soutienne un candidat qui ne représente pas son intérêt, l’intérêt général ?

 

Il y a plusieurs explications qu’on peut soumettre pour tenter d’éclaircir le phénomène :

 

Tout d’abord, il faut comprendre que ceux qui possèdent l’argent possèdent le pouvoir, et que le plus riche est capable d’acheter et l’intelligence et la force, autant que la bêtise et la faiblesse. Les riches « possèdent » donc tous les postes importants, c’est-à-dire ceux qui leurs permettent de faire élire par plus de 50 % un candidat qui ne fera profiter in fine que les 1% les plus riches, à savoir ceux-là même qui l’ont fait élire. Ils ont la mainmise sur les plus grands médias, les plus grosses industries, les transports, la construction, la communication, l’énergie, les meilleures terres…. Cela représente des centaines de milliers d’emplois, un accès privilégié à la diffusion de la propagande à travers le public comme à travers le privé (tous deux servent en réalité les mêmes intérêts),  et signifie surtout une domination de fait des riches sur les politiques menées par un gouvernement qu’ils contribuent à faire élire.

 

Ensuite, il faut avouer qu’il est plus facile de s’accorder à 1% qu’à 99 % : alors que les évènements se succèdent à une vitesse folle, il est facile d’imaginer que les 99% n’auront toujours pas fini de se mettre d’accord  sur leurs revendications lorsque la crise sera finie ! C’est le danger de la démocratie, et aussi une des faiblesses des indignés. Trouver un consensus capable de rassembler toutes les revendications est presque impossible, alors que se contenter du « vote utile » est beaucoup plus confortable.

 

Enfin, si on considère les résultats d’une élection démocratique comme elle s’est déroulée en France en 2007, il faudrait s’attendre en théorie à l’échec perpétuel du candidat de droite. Mais ce n’est pas le cas. Cela signifie que plus de 40 % des votants « se trompent » en croyant satisfaire leurs propres intérêts. L’abstention est un élément essentiel, mais ne suffit pas à lui seul à expliquer le phénomène. Pas plus que l’absence d’une « gauche véritable », car elle existe mais ne fait pas recette.

 

Il faut donc en chercher ailleurs l’explication principale, et l’illusion des « classes moyennes » est un facteur à étudier. Car derrière ce terme se cache un phénomène intéressant de distorsion du réel, entre l’image qu’on en a et sa réalité. Selon les méthodes, la classe moyenne se situe dans une tranche large qui comprend des revenus situés entre 1200 et 3000 euros, ce qui représente près de…. 90 % de la population ! En affinant les barèmes, l’observatoire des inégalités encadre la classe moyenne entre 1200 et 1840 euros par mois, ce qui représente tout de même encore 40 % de la population active, aux quels s’ajoutent 20 % qui gagnent moins que 1200 euros par mois.

Il serait bien sûr exagéré de faire correspondre le vote de la classe moyenne avec le vote « à droite », mais il est intéressant de s’interroger sur un point : l’inconscient populaire est encore très largement victime d’une sorte « d’image d’épinal » qui contribue toujours (à travers une vision passéiste de la classe moyenne qui s’était développée au cours des « trente glorieuses » et qui flattait l’égo des « parvenus ») à sous-entendre le caractère positif de cette position sociale . Ces hommes et ces femmes, employés de bureau, cadres d’entreprises, fonctionnaires titulaires, se sentent dans les sondages d’opinions appartenir encore à cette classe moyenne, et se réjouissent de ce statut. Victimes de l’image même qu’ils se disent porter, ils finissent par se croire réellement appartenir à une classe « privilégiée », et votent selon ce qu’ils croient être leur intérêt propre. Et puisque chacun sait que la droite favorise plus les riches que la gauche, ils sont en général tentés, séduits par les discours qui leur promettent de « travailler plus pour gagner plus ».

 

Mais en réalité ce sont ces classes dites « moyennes » qui vont subir la crise de plein fouet. Aux pauvres on ne peut plus retirer grand chose, et on ne tapera pas non plus sur les riches…. Qui va payer, si ce n’est ce grand fourre-tout qu’on appelle « classes moyennes » ? En leur faisant croire qu’on va faire payer un peu tout le monde, on s’apprête en fait à les appauvrir eux, ceux qui ont encore quelque chose mais qui sont prêts à tous les sacrifices pour conserver l’illusion de leur statut. Ils feront des heures supplémentaires non payées, se soumettront aux ordres, et en voudront aux pauvres d’être « si bien traités », n’ayant comme unique peur de leur ressembler un jour…

 

Ce qui risque bien de leur arriver s’ils ne se débarrassent pas très vite de leurs illusions. Il faut maintenant qu’ils comprennent que leur véritable place n’est pas aux côtés de 1%, mais des 99 autres. Et surtout qu’ils agissent en conséquence.

 

Caleb Irri

http://calebirri.unblog.fr

7 Réponses à “La place des « classes moyennes » dans le mouvement des indignés”

  1. Cyrille Dit :

    Et voir et revoir la vidéo « Le syndrome du larbin ». Amusant et édifiant.

    https://www.youtube.com/watch?v=HH5fVD-1_I4

    Le texte : http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-syndrome-du-larbin-76062

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  2. ungars Dit :

    C’est l’équivalent du syndrome de Stockholm.

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  3. Ju² Dit :

    Ces illusions sont extrêmement difficiles à combattre – comme tu le soulignes au départ, les 1% (appelons-les ainsi) disposent de la richesse concentrée, de l’argent, qui leur donne le pouvoir de créer les structures de contrôle de la population (médias, propagande idéologique, dégradation de l’école publique pour en finir avec le sens critique…).
    « Je suis le 1% mais j’ai des chiens ! » (tu as dû voir passer cette image tirée des Simpsons)

    Il est clair que si nous nous dressons tous, ayant atteint le Graal de la conscience collective, nous mettons à bas les structures de pouvoir en place.
    Mais les révolution arrivent rarement, sont provoquées par des épiphénomènes (famine, fait-divers) et non par la prise de conscience réellement, et sont généralement récupérées : il faut bien que des structures de pouvoir se remettent en place, d’une manière ou d’une autre – l’humanité ne sait (ne peut ?) se structurer différemment.

    Au final on constate tout au long de l’histoire la prévalence des systèmes politiques féodaux entrecoupés de parenthèses (en apparence) démocratiques durant laquelle la féodalité est modérée par un système politique. Actuellement nous refermons une parenthèse.
    Ce qui fut dit par les lumières avait finalement été dit avant, par d’autres, mais jamais mis longtemps en pratique, quand ce n’est oublié.

    Faut-il se résigner ?
    Faut-il combattre à corps perdu ?
    Faut-il ?

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  4. calebirri Dit :

    @ Ju²

    à mon avis, il ne faut ni se résigner ni combattre à corps perdu, mais préparer d’abord le monde que nous voulons, pour ne pas descendre dans la rue sans savoir quoi demander, ni attendre de devoir réclamer du pain. Quand les 99% se seront mis d’accord sur ce qu’ils veulent (ça peut prendre du temps c’est vrai), alors ils n’auront même plus besoin de combattre : ils s’installeront gentiment, et laisseront enfin leur souveraineté s’exprimer ; c’est pourquoi je milite toujours pour la mise en place d’une Assemblée Constituante. préparer d’abord, agir ensuite.

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  5. s6v20 Dit :

    Je suis d’accord et je pense que le moteur de ce système est la peur. Même pour ce 1 %. En effet quel intérêt ces riches ont ils de vouloir amasser encore plus de richesses si ce n’est par des réflexes primaires ?
    J’ai regardé un documentaire sur l’eau en bouteille que la France exporte , entre autres, pour les riches dans certains pays où la population manque d’eau. J’imagine celui qui boit une bouteille d’Evian à côté de celui qui meurt de soif.
    Enfin ,je pense que le fait d’amasser autant d’argent jusqu’à détruire l’humanité ainsi que de posséder le pouvoir ne les rends pas heureux sinon ils n’auraient plus besoin de cela ces riches.

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  6. Fab Dit :

    Bonsoir,

    Désolé de passer en coup de vent.

    Il me semble que le mécanisme décrit ici, comme celui en place dans les pays arabes avant leur(s) révolution(s), et ceux partout ailleurs quasiment, tiennent tous dans la coupe de la soumission volontaire, dont le mécanisme a été exposé dans le Discours de La Boétie.

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