Dans les premières pages de son livre « retour au meilleur des mondes », Aldous Huxley dresse en 1958 un bilan des anticipations qu’il avait dégagées en 1930, comparées d’une part à la situation telle qu’elle lui semblait évoluer à l’époque, et d’une autre aux anticipations d’une oeuvre non moins importante : « 1984″, de George Orwell. Prenant acte du fait que le monde avançait « beaucoup plus vite » que prévu, il constatait que le monde avait plus de chances de ressembler à son meilleur de mondes qu’à celui de 1984 car, disait-il, « il est devenu évident que le contrôle par répression des attitudes non-conformes est moins efficace, au bout du compte, que le contrôle par renforcement des attitudes satisfaisantes au moyen de récompenses et que, dans l’ensemble, la terreur en tant que procédé de gouvernement rend moins bien que la manipulation non violente du milieu, des pensées et des sentiments de l’individu ».
Autrement dit, un gouvernement obtiendrait plus de la part de son peuple avec une carotte qu’avec un bâton. La carotte représentant la démocratie, avec une société validant le contrôle permanent des esprits dans « l’intérêt général », et le bâton la dictature, dans le même objectif mais au moyen de la répression.
Ces deux moyens d’arriver au même but posent la question de ce but : la satisfaction de l’intérêt général est elle possible dans le cadre du capitalisme, ou faut-il sortir du capitalisme pour y accéder ? Avant de déterminer lequel des procédés de gouvernement évoqués par ces deux visionnaires est le plus susceptible de fonctionner, il faut connaître le contexte dans lequel se déroulent ces deux anticipations. Et force est de constater qu’à l’intérieur du cadre capitaliste, aucune des deux hypothèses ne fonctionne complètement. L’erreur qui a été faite dans l’interprétation des ouvrages de monsieur Huxley et de monsieur Orwell a été de croire leurs anticipations absolutistes compatibles avec le capitalisme, sans voir qu’elles décrivent en réalité des mondes dans lesquels le capitalisme a déjà disparu : à la monnaie s’est déjà substitué un autre mode de fonctionnement supérieur, le contrôle total des corps et des esprits. Par contrainte ou par conditionnement. Officiellement dans l’intérêt général, mais en l’absence totale de liberté.
Car le capitalisme est en réalité incompatible avec l’absolutisme évoqué par ces deux auteurs : l’illusion de l’intérêt général doit être trouvé par la somme des intérêts privés, cette fameuse « main invisible », à travers des lois de marché qui instaurent en théorie une concurrence libre et non faussée. Mais cela signifie que lorsque les uns bénéficient des fruits de la croissance, les autres subissent les affres de la misère: il ne peut alors exister d’intérêt général. La démocratie se développe alors pour les uns (avec comme procédé de gouvernement « plutôt » la carotte), tandis que pour les autres c’est la dictature, avec comme corollaire « plutôt » le bâton).
C’est ce « plutôt » qui entraîne l’impossibilité de ces deux absolutismes (la dictature totale ou la démocratie totale), qui n’auraient sans doute jamais pu se réaliser si le capitalisme avait toujours continué à fonctionner sans entraves : le capitalisme possède en lui même une sorte de « justice » en vases communicants, où les pauvres d’aujourd’hui doivent logiquement devenir les riches de demain, et inversement. Mais les choses se sont déroulées bien différemment. Après la prise effective du pouvoir par les Etats-Unis et quelques autres vainqueurs au sortir de la guerre, certains Etats ont profité d’une puissance fondée sur la force brute pour transformer à leur goût les règles du jeu capitaliste , notamment à travers Bretton Woods, à l’issue duquel le dollar est devenu la monnaie de référence. En voulant conserver par la ruse un pouvoir qu’ils ont obtenu par la force (les exemples historiques sont nombreux), ils ont ainsi transgressé les règles du capitalisme, « leurs » propres règles : en refusant de constater l’inévitable retournement futur du capitalisme, ils se sont perdus dans la spirale infernale de la triche et du mensonge.
Pour transgresser les règles du capitalisme, les Etats riches ont mis en place de nombreux outils tels que les paradis fiscaux, les chambres de compensation, des subventions agricoles, des bulles spéculatives…. qui ont permis un temps non seulement de cacher le montant réel de leur dette, mais aussi de financer l’existence de la démocratie, à travers « l’Etat social » (sans doute en contrepartie d’ailleurs de la misère et de régimes dictatoriaux dans d’autres Etats). Mais même ces outils ne suffisent plus aujourd’hui : les émergents ont fini par émerger, et eux-aussi ont soif de démocratie, et eux-aussi veulent profiter de la carotte plutôt que de subir le bâton. Les agences de notation, qui sont elles de « purs » capitalistes, ne s’y trompent pas, et ne peuvent plus faire comme si de rien n’était : il est devenu trop risqué de prêter à des Etats trop endettés, les garanties en retour n’étant plus suffisantes. On court au déclassement, et donc à la restructuration : le fameux retournement. Les puissances actuelles doivent redevenir « rentables » pour conserver la confiance des marchés, seuls capables de maintenir à la fois le niveau de vie auxquels ses citoyens se sont habitués, et surtout pour continuer à exercer la domination qu’ils font peser sur le monde.
Mais pour redevenir « rentables », elles se doivent de rogner soit sur les acquis économiques et sociaux liés à leur position dominante (qu’ils fassent payer les riches ou les pauvres ; mais bien sûr ce sera les pauvres), soit se décider à se séparer du capitalisme en le remplaçant par un autre régime ; et c’est là que nous retrouvons nos deux auteurs. là où le capitalisme permettait de ne pas avoir à choisir entre le meilleur des mondes ou 1984, le régime qui lui succédera permettra alors de décider laquelle de ces deux visions s’imposera.
Selon la réaction des « émergents/émergés » face au nouveau Bretton Woods qui nous sera bientôt proposé comme seule alternative à la mort du capitalisme, le monde aura alors la responsabilité d’un choix difficile : en se soumettant à cette idée de bancor, il se peut qu’on sauve l’apparence du capitalisme, en même temps qu’on modifie considérablement les règles déjà injustes de ce monde. Cette soumission signifierait pour les pays riches la perpétuation de leur domination, avec une sorte de « meilleur des mondes ». Mais si les pays émergents la refusent alors, la force brute nous conduira à 1984. Et dans les deux cas, nous aurons tous perdus.
Caleb Irri
31 août 2011 à 12:37
Bonjour,
Ne pensez vous pas que la seule possibilité que nous ayons encore de peser sur les évènements c’est de décider de boycotter des entreprises et/ou des produits ou bien de se regrouper en coopérative pour réaliser des achats incompressibles et gérer les bénéfices ?
Il me semble qu’aujourd’hui seul un contre pouvoir économique pourrait faire changer les choses pas vous ?
31 août 2011 à 13:51
@ Pierre
je ne suis pas d’accord avec cette possibilité, car à mon sens lutter contre le capitalisme avec les armes du capitalisme, c’est en réalité perdre tout de suite : en se soumettant à ses règles de fonctionnement, soit l’on en sera éjecté dans la misère, et si l’on réussit alors on ne sera qu’un capitaliste de plus…
31 août 2011 à 15:04
Caleb Irri,le nouveau prophète post-Ramadan…il faut reconnaître la nature sauvage du capitalisme.Comme toute bête sauvage,il devra être maîtriser.Jusqu’à présent,seul le réformisme a su plus ou moins le maîtriser comme on le voit en UE.Le capitalisme ultralibéral de Chine n’est pas maîtrisable socialement,même par des communistes,puisque les acquis sociaux y sont quasi-nuls par arpport aux nôtres.Ce qui fait dire n’importe quoi au faux prophète Caleb Irri,c’est de s’installer sur un site tel que Bellaciao,c’est qu’il y est obligé de se plier au diktat de ce site pour ne pas être censuré:ne jamais critiquer Chine et autres « démocraties populaires »(sans rire).Par contre,le prophète de pacotille Caleb Irri omet de nous dire que TOUTES les expériences non capitalistes ont été sanguinaires,dictatoriales et autres joyeusetés dont plus personne ne veut,y compris les prolétaires.Laissons donc les intellectuels à 2 balles se masturber le cerveau à quelques-uns sur bellaciao et ailleurs,ça les occupe et ça leur fait croire qu’ils travaillent.Quant à nous,sur les chantiers et dans les usines,continuons à lutter pour prendre au capitalisme le vrai fruit de notre travail.
31 août 2011 à 18:12
Bonjour,
Très bel article. J’avais entendu parler de ce Retour au meilleur des mondes…je le lirai un des 4.
À propos de carotte et de bâton :
Ali…,
« C’est une erreur de croire nécessairement faux ce qu’on ne comprend pas » (Gandhi). Qu’entendez-vous par capitalisme pour dire que « TOUTES les expériences non capitalistes ont été sanguinaires,dictatoriales et autres joyeusetés » ?
Je considère le capitalisme comme la soumission volontaire à une croyance, à une valeur suffisamment forte pour nous occuper dans le seul but (que nous avons choisi) de ne pas avoir à inventer nos vies, à affronter nos peurs existentielles ( « Les religions sont notre première invention pour vivre avec la peur qui vient dès que nous prenons conscience du sort qui nous est réservé », Paul Jorion). Ainsi le capitalisme est-il de civilisation : soumission à un Dieu, à une église, à un pharaon, à un seigneur, …, et aujourd’hui à la tyrannie de l’échange monétisé. Cette tyrannie assure sa position grâce à la société de consommation, par le salariat.
Alors, si vous le voulez, continuez à lutter sur les chantiers et dans les usines si ça vous fait du bien, mais laissez-nous nous masturber le cerveau à l’envi : chacun ses plaisirs ! Tenez, pour vous, deux branleurs de première :
31 août 2011 à 18:56
Pas de réponse sur les camarades chinois ultra exploiteurs pire que les nôtres?Et l’abolition du travail comme vous le préconisez,demandez au camarade Stakhanov et autres ouvriers exemplaires qui ont forgé l’URSS,où selon vous,il n’y a jamais eu de goulag ni autres joyeusetés prétendument communistes?Et le travail forcé des « camarades » cambodgiens,Polpot partisan comme vous de l’abolition du travail?Branleur vous êtes,branleur vous resterez à ne voir qu’une seule facette des choses.Et si vous n’aimez pas le travail,arrêtez de nous emmerder avec votre jus de pensées insipides!!Karl,réveilles-toi,ils sont devenus des ânes!!
31 août 2011 à 23:06
@ Ali
Je ne comprends pas votre acharnement à propos de la Chine : nous sommes tous d’accord ou presque, je crois, pour dire que la Chine n’est pas une démocratie, mais une puissance capitaliste, comme vous le dites vous-même dans votre commentaire (« Le capitalisme ultralibéral de Chine »); commentaire dans lequel vous me faites ensuite le reproche (je crois ?) de soutenir les expériences non capitalistes qui ont été des dictatures sanguinaires. mais ces expériences ont-elles été réellement « non capitalistes », puisque la Chine elle-même ne l’est pas ? je veux bien qu’on me dise que les régimes établis à l’époque en Chine et en URSS aient été des dictatures, mais pas qu’ils étaient « non capitalistes ». et c’est pour ça qu’en critiquant le capitalisme je me retrouve à critiquer à la fois l’Europe, et la Chine !
1 septembre 2011 à 7:43
Ali,
Caleb Irri le dit fort bien et gentiment : vous dites n’importe quoi.
Cela dit, si ça vous branche de lutter sur les chantiers et dans les usines, allez-y ! Le résultat de votre démarche serait identique – la fin du salariat – à ceci près que vous n’aurez pas apporté de réponse au comment on s’organise après. Et oui : si vous obtenez « le vrai fruit » de votre travail », cela signifie que vous disposerez d’une richesse suffisante pour vivre simplement – vos besoins de base seront nécessairement assurés – ce qui « vous » détachera de la dépendance au salariat : il n’y survivra pas, puisqu’il est tyrannique, colonisateur, par essence.
Prenez le temps de lire mon précédent message, liens compris, ça vous permettra de ne pas commettre l’erreur que vous imaginez chez moi : « ne voir qu’une seule facette des choses », et ainsi m’emmerder avec votre absence de réflexion je l’espère (pour vous) due au manque de temps, temps accaparé par le salariat et ses combats internes (on dirait des esclaves qui essaient de négocier le nombre légal de coups de fouet).
1 septembre 2011 à 8:22
Ce que je veux dire pour en terminer enfin,c’est d’abord que les travailleurs dont je suis sont à 100 lieues de vos masturbations intellectuelles de nantis et qu’ils ont à subvenir tous les jours aux besoins de leurs familles.A nous syndicalistes de faire en sorte que ça se passe le mieux possible en attendant le grand soir que vous nous promettez depuis si longtemps et la fin du travail qui va avec.Nous n’avons pas le temps d’attendre,vous peut-être,pas nous.Et jusqu’à présent,en France,les syndicats ont fait du bon boulot même si le Sarko continue à nous en mettre « plein la gueule ».
En ce qui concerne la Chine et les « démocraties populaires »,que ces mêmes travailleurs n’ont JAMAIS vraiment eu l’intention de rejoindre ni d’installer(bon sens populaire oblige),c’est votre silence complice que je déplore.Intervenir sur bellaciao,c’est obligatoirement se taire sur ces horribles régimes qui n’ont jamais été ceux des travailleurs.Vos critiques vont toujours dans le même sens,la même cible,si tant est qu’il est beaucoup plus facile de critiquer les démocraties que les dictatures.C’est votre lâcheté que je fustige,rien d’autre car « qui ne dit mot consent »…
Pour en revenir à la fin du travail,vos circonvolutions intellectuelles ne vont pas jusqu’à imaginer qui fera le jardin dans 100 ou 200 ans,qui construira des maisons,réparera des ordinateurs,etc…Je ne serai plus là comme beaucoup et à vrai dire,je m’en fous…là,je m’en vais,j’ai réunion syndicale!
1 septembre 2011 à 9:24
Ali,
Ce que vous appelez « masturbations intellectuelles » ont pour but que les besoins de tous, de vos « familles », soient comblés avant que la société ne se lance dans la production. Actuellement la solidarité est conditionnée à la production : c’est insensé.
Concrètement, les choses devinrent beaucoup plus critiques quand nous passâmes à la production du superflu, dans le seul but d’alimenter une machine qui ne souffrait pas de pause dans son mouvement vers l’avant. Un superflu si négatif qu’il assécha les ressources énergétiques de la planète et mit en péril nos conditions de vie. La solidarité – le besoin de chacun de voir ses besoins de bases comblés – est à l’origine de la société, mais elle est aujourd’hui conditionnée à la production…de superflu.
Et comment est maintenue cette contrainte insensée, si ce n’est par le salariat ?
4 septembre 2011 à 10:45
J’avais bien dit « masturbations intellectuelles »et je maintiens.D’autant plus que votre silence est toujours complice des régimes dictatoriaux.Branleur vous êtes,branleurs vous resterez et nous travaillons pour vous nourrir!
5 septembre 2011 à 9:14
Ali,
On compte sur vous !
Salut les maillons !
7 octobre 2011 à 13:06
Blog(fermaton.over-blog.com) Page No-16, THÉORÈME DE KONDRATIEFF -LA CRISE FINIE