Cela faisait bien longtemps que tout le monde savait comment les choses allaient tourner : à force de vivre au dessus de ses moyens, l’Europe et les Etats-Unis sont passés du stade de débiteurs à celui de surendettés.
S’il s’agissait d’un simple particulier ou même d’une entreprise, la situation se réglerait rapidement par un dépôt de bilan, avec saisie des biens du responsable et mise sous tutelle de ses revenus, voire une procédure judiciaire au cas où le (ou les) responsable (s) auraient commis des erreurs de gestion. Les salariés seraient licenciés, et en cas d’insolvabilité du débiteur les créanciers se retourneraient alors soit vers les assurances, soit vers l’Etat.
Mais dans le cas d’un Etat surendetté, la situation est plus compliquée : on ne peut décemment pas considérer un territoire, ni sa population, comme une simple entreprise dont les responsables seraient les propriétaires, et les citoyens des salariés. Les choses sont bien plus complexes, car elles touchent à l’essence même des sociétés, la vie des êtres qui la composent et leur relative liberté d’être humain : on ne peut théoriquement ni vendre ni acheter un Etat, et encore moins les membres qui le composent.
Les agences de notation, dont le métier est le calcul de risques, n’expriment quant à elles que des probabilités de défaut de paiement, ne considérant comme facteurs objectifs que le ratio entre les recettes et les dépenses quel que soit l’acteur, banque, assurance ou Etat… Il apparaît donc clairement, pour ces agences, qu’il devient désormais inconscient de continuer à prêter de l’argent à un Etat dont on est sûr qu’il ne pourra pas rembourser.
Mais les banques ont déjà beaucoup prêté à certains des Etats aujourd’hui en difficulté, et cela bien au delà des limites du raisonnable : là où un particulier ne peut espérer s’endetter à plus de 33% de ce qu’il gagne (pour le protéger du surendettement), certains Etats le sont à plus de 100%. Cela signifie donc que les banques ont continué de prêter, contre toute « rationalité économique », à des acteurs qu’elles savaient fragiles. Cette situation n’a été rendue possible que par l’illusion de la transparence, clef de voûte de la puissance économique trompeuse des pays riches, à travers des liens étroits qui unissaient hier les pouvoirs politique et financier, liens qui se détendent à l’heure du bilan : les banques n’ont pas respecté les règles qu’elles auraient pourtant du se fixer, et leurs accointances coupables avec la sphère politique ont corrompu le système : l’humain est venu interférer avec l’argent, ce qui est interdit par le capitalisme.
Les agences de notation, elles, ne s’y sont pas trompées. Ne considérant que la perspective de profit comme règle supérieure, elles préfèrent la stabilité d’une dictature à la gestion scabreuse d’une démocratie corrompue, et menacent désormais d’abaisser également la note des banques les plus exposées dans les pays les plus endettés, tandis que les banques, elles, cherchent à se sortir de ce pétrin à moindres frais…
Ce qui va se passer maintenant sera déterminant : car il faudra bien que quelqu’un paye !
Si les banques refusent de mettre la main au portefeuille en prêtant toujours plus aux Etats, alors certains se retrouveront définitivement dans l’incapacité de rembourser leur dette, et sortiront de l’Europe pour dévaluer leur monnaie. La situation économique et sociale deviendra alors désastreuse pour de nombreuses années, et les peuples seront (comme toujours) largement mis à contribution. Les épargnants se précipiteront chercher ce qui leur reste d’épargne, et la contagion risquerait de faire s’effondrer une bonne fois pour toute le système bancaire.
Tandis qu’en continuant à prêter, elles prennent le risque de voir leur note baisser encore, et de ne jamais récupérer leur argent. Il leur faut donc de solides garanties, à savoir d’une part la mise de l’Europe sous tutelle franco-allemande, et d’une autre le recul très net des dépenses (l’allongement de la durée du travail, la dégradation des conditions de travail, la baisse des salaires, les licenciements et la hausse des impôts…) . Et si on pouvait ajouter à ce chantage une « règle d’or » économique dans la Constitution, on se trouverait alors à l’abri de bien des dérapages dans l’avenir. Reste à savoir maintenant si les banques ont de quoi prêter, mais aux vues des bénéfices engendrées l’année passée, il semble que la chose soit possible.
Mais si nous refusions de payer encore une fois ? Vous avez l’impression de vivre au dessus de vos moyens, vous ? Vous vous sentez responsables des malversations qui sont faites en votre nom ? Et pourquoi toujours vous ? Pour avoir fait l’erreur de croire aux mensonges de nos hommes politiques ? Pour avoir pensé qu’il était possible de vivre décemment de son travail ?
Pourquoi ne pas faire payer les riches ? Pourquoi ne pas supprimer les paradis fiscaux, interdire la spéculation et taxer les revenus du capital, rendre transparentes les chambres de compensation, interdire les liens incestueux entre le pouvoir politique et le pouvoir financier… ? Arrêtons-là, puisque nous n’allons pas dans la bonne direction, et puisqu’il faudra bien en changer de toutes façons. Refusons de payer encore, car nous sommes, nous le peuple, les seuls véritables propriétaires de notre Etat. Et nous ne sommes pas à vendre.
Caleb Irri
6 août 2011 à 10:36
bonjour
vous écrivez: »à force de vivre au dessus de ses moyens, l’Europe et les Etats-Unis »
allez donc dire cela aux millions de gens qui, en France (et je ne parle pas des autres Etats européens ou US), vivent au dessous du seuil de pauvreté; allez dire cela aux millions de gens qui gagnent à peine le SMIC, allez dire cela aux millions de gens qu’on appelle maintenant « travailleurs pauvres »; allez leur dire qu’ils ont vécu et qu’ils vivent encore « au-dessus de leurs moyens ».
On oublie trop souvent que ces agences de notation qui aujourd’hui font la pluie et le beau temps ont non seulement une compétence limitée et douteuse, mais aussi un parti pris économique ultra libéral: on oublie trop souvent les notes AAA qu’elles ont données aux banques US en 2008 et avant cela à des entreprises comme ENRON et j’en oublie. Alors aujourd’hui, elles jouent les donneuses de leçons et nous imposent sans avoir l’air d’y toucher un modèle économique qui a pour socle la soumission des Etats à un dogme qui donne aux puissances économiques et financières la primauté sur les Etats, renvoyant ceux ci à un rôle de fidèles exécutants de leurs décisions… on oublie trop souvent cela et les dettes ne sont que des prétextes, même s’il est vrai que ce n’est pas à négliger. bien à vous
6 août 2011 à 15:33
Article intérressant qui remet les choses en perspectives simplement.
Toutefois une chose m’interpèle et je ne vois jamais d’explications :
Qui peut apporter autant de millier de milliards de prêts aux états ??
D’où vient cet argent ? Car même en cumulant toutes les épargnes dans le monde on arrive loin du montant…
Et si il est créé de l’argent, virtuel ou non, d’où vient-il et qui sont les vrais créanciers dont on s’inquiète tant ?
Quelqu’un pourrait-il éclairer un simple profane avec des mots simples ? Sans dogmatisme et certain de ses sources ou affirmations…
Bien à vous
6 août 2011 à 18:51
@ Paniss
c’est exactement ce que je sous-entends à la fin de l’article : « on » va nous expliquer que « nous » avons vécu au-dessus de nos moyens, mais nombreux sont ceux qui peuvent prouver que tel n’est pas le cas…
Alors, et comme le demande judicieusement SocrateIII, d’où vient l’argent, et où est-il allé ? C’est bien cela qu’il faudrait rechercher… Pourquoi pas du côté des chambres de compensation ? http://calebirri.unblog.fr/2011/02/18/de-denis-robert-au-g20-en-passant-par-notre-pretendue-naivete/
7 août 2011 à 14:43
bonjour
La question qu’il faut poser est: 1-pourquoi les états ont ils besoin de se financer auprès des banques,
2-Cela n’était pas le cas avant les années 80?
Albert
8 août 2011 à 6:18
Caleb Irri,
Bonjour. Je réponds ici à votre message là-bas : http://www.pauljorion.com/blog/?p=27176#comment-210040
Méfiez-vous : la morale est un sujet glissant…j’en ai fait la triste expérience, qui m’a fermé la porte du blog de Paul Jorion.
Bizarrement ce sujet est fondamental : il peut faire apparaître les convictions les plus profondes de chacun (ses valeurs), ses bases philosophiques. Et bizarrement (non je rigole) certains sont effrayés à cette idée. Étonnant non ?
Sur le fond donc : la morale qui s’est établie dans notre société, qui fait loi, est au final une morale de civilisation. Elle évolue, certes, mais difficilement, lentement (et encore…). C’est une crise de civilisation que nous connaissons aujourd’hui : parler de morale ou de valeurs pour certains, c’est prendre le risque de dévaluer sa propre crise économique. Égoïsme inacceptable car dangereux pour la diversité, pour la société, pour la démocratie, mais pourtant égoïsme faisant partie de la morale actuelle : seul celui qui crie le plus, le plus fort, le mieux, etc., est écouté.
Dans le cas qui nous préoccupe, la morale actuelle organise sa défense : ce n’est pas la manière de vivre-ensemble qui doit être changée selon elle, mais la manière dont nous organisons le vivre-ensemble autour de l’échange monétisé. La morale des éconophiles risque de plaire pour une seule et bonne raison : elle pérennise la soumission volontaire, à mes yeux le capitalisme historique :
Sacrée morale pas vrai ?
Je vous cite : « …qui dit prix dit négociation, et qui dit négociation dit rapport de forces. » : c’est simple et incontournable : ça dérange. Les éconophilels notamment (la suite est un message déjà écrit mais qui a déplu…allez savoir pourquoi !) :
Début>
« La découverte involontaire de Ricardo, confirmée ensuite par Sraffa, c’est qu’un domaine de « l’économique » stricto sensu est illusoire : ce qui fonde ce qui apparaît comme « l’économique » est ailleurs : dans le rapport de force entre groupes humains définissables seulement en ceci qu’ils sont les récipiendaires de la rente, du profit ou du salaire. Autrement dit : une « science économique » est nécessairement une économie politique et l’économie politique a son fondement dans le politique. » (Paul Jorion)
Plouf ! C’est « l’économique » qui fonde les notions de rapport de force et de groupes humains définissables seulement en ceci qu’ils sont les récipiendaires de la rente, du profit ou du salaire – de groupes humains économiques quoi ! : lui étant nécessaires elle les entretient !
Ça arrange particulièrement les sociologues et autres anthropologues pour qui la société (le groupe) est plus importante que l’individu : parqués (en groupes), les individus ont moins de chance d’échapper à l’observation des scientifiques. Cette facilité des sciences sociales à se plier à l’ordre établi – accepter la tyrannie de l’échange monétisé comme une caractéristique sociale – maintient un voile sur l’humanisme.
Allons, allons, messieurs-dames les scientifiques sociaux plus qu’humains : osez vous défaire du lien économique qui empêche l’individu d’exprimer ses valeurs : la tyrannie de « l’économique » impose le vivre-ensemble ainsi que les sciences qui l’observent. Or : « Ce n’est pas une crise économique, c’est beaucoup plus : la façon de vivre les uns avec les autres est remise en question. » (A. Jacquard, qui n’a pas non plus été formé comme économiste) :
Il ne suffit plus de mettre (perpétuellement) en cause la manière dont le lien économique – le seul utilisé pour la construction de la société… – fonctionne, c’est de sa tyrannie dont il faut se débarrasser. Et pour cela, chacun doit faire son propre ménage, sa propre autocritique…avec cette mise en garde : « On ne règle pas un problème en utilisant le système de pensée qui l’a engendré. » (A. Einstein)
Du même Albert (quelle cohérence !) : « La chose la plus difficile à comprendre au monde c’est l’impôt sur le revenu ! » ! Tu m’étonnes ! Je traduis pour les éconophiles : la société ne se préoccupe de ses membres que s’ils produisent ! Oui messieurs-dames, vous avez bien lu : nous n’avons le droit à ce qui nous a fait entrer en société que si nous produisons (pour certains c’est l’Histoire) !!!
C’est un comble. Non ?
Big Brother croit encore que c’est en débranchant un individu qu’on élimine ses idées !
Bonne journée
Fin>
Merci pour l’espace d’expression. On m’a souvent poussé (fort parfois) à ouvrir mon propre blog. Je ne suis pas pour : c’est l’union qui fait la force (si si : même pour un cerveau collectif). Mais quand l’égoïsme prime sur l’efficacité…la démocratie est encore loin.
9 août 2011 à 23:14
@ Fab
il existe des moyens de « sortir » de ce système, et la mise en place d’une Assemblée Constituante en est un : http://lavoiedespeuples.unblog.fr/2011/02/22/les-solutions-existent-elles-passent-par-la-creation-dune-assemblee-constituante/
10 août 2011 à 8:58
Caleb Irri,
J’avais vu : c’est du bon boulot, et ce n’est certainement pas par hasard que vous vous trouvez (en tête !) sur le « Blogroll » de PJ.
Il me semble que nous poursuivons un objectif commun ou proche (sinon je ne serais pas venu me réfugier chez vous -Merci). Mais il semble qu’il faille en premier lieu s’occuper de la désintox pour rallier un nombre suffisant de participants… (http://laconstituante.forumgratuit.fr/c8-nouvelle-discussion-travail-sur-la-constituante).
À suivre donc.
12 août 2011 à 13:10
Bonjour,
pour répondre à certaines interrogations lues dans les commentaires, si vous arrivez à vous procurer un documentaire qui s’appelle « l’argent dette », alors vous aurez exactement la recette de l’endettement des Etats actuel. Le phénomène était prévisible, pour ne pas dire « prédit », puisqu’il s’agit d’une simple opération logique, comme deux et deux font quatre.
Un peu avant 2000, les produits financiers générés par la spéculation sont devenus supérieurs aux produits générés par la production (y compris les services) : le cap du non retour était passé ; l’économie mondiale ne peut désormais que plonger, c’est-à-dire plonger le monde dans un chaos du chacun pour soi, pour la survie.
Après cela, j’espère que nos enfants sauront reconstruire sur de nouvelles bases – ni religieuses, ni politiques, ni économiques, mais simplement plus respectueuses de l’humain et de la nature avant tout.
Cath
12 août 2011 à 19:53
Cath,
+1
J’espère aussi. J’essaye, mais bon dieu que c’est dur ! Surtout avec les éconophiles, qui n’arrivent tout simplement pas à imaginer que l’échange monétisé pourrait ne pas être systématiquement imposé, et que c’est cette tyrannie qui crée les problèmes qu’ils essaient de résoudre.
Ecce homo. Faut faire avec.
13 août 2011 à 16:37
« S’il s’agissait d’un simple particulier ou même d’une entreprise, la situation se réglerait rapidement par un dépôt de bilan, avec saisie des biens du responsable et mise sous tutelle de ses revenus, voire une procédure judiciaire au cas où le (ou les) responsable (s) auraient commis des erreurs de gestion. Les salariés seraient licenciés, et en cas d’insolvabilité du débiteur les créanciers se retourneraient alors soit vers les assurances, soit vers l’Etat »
Vous voulez bien rectifier s’il vous plait en cas d’insolvabilité, sans assurance, c’est direct la clôture pour insuffisance d’actif .
13 août 2011 à 23:42
@ Cath et @ Fab
et plutôt qued’attendre que nos enfants tentent de rattraper nos erreurs, si nous commencions dès maintenant à ne plus en faire ?
@ liervol
cela n’arrange rien ! d’autant que les assurances ne sont-elles pas obligatoires ?
14 août 2011 à 8:14
Ne plus faire d’enfants ! Comme vous y allez !
Pour ce qui est des erreurs : d’accord !
14 août 2011 à 10:01
@ Fab
Je ne parlais évidemment pas des enfants mais des erreurs ! :-)
28 août 2011 à 15:26
e=t au fait que devient l’Islande ?
Quoi de neuf sur cette constitution qu’ils étaient en train d’élaborer ?
Et qu’en est il des pays qui lui réclamaient de l’argent ?
quelqu’un a t-il des nouvelles fraîches ?
28 août 2011 à 15:45
Islande et constitution.
Le projet de constitution a été remis au parlement.
J’ai parcouru le document (cf http://translate.google.com/translate?js=n&prev=_t&hl=en&ie=UTF-8&layout=2&eotf=1&sl=auto&tl=en&u=stjornlagarad.is%2Fstarfid%2Ffrumvarp). Extrêmement décevant. Rien qui d’une manière ou d’une autre redessine un tant soi peu la démocratie et corrige ses problèmes.
En bref, ces citoyens quelconques de la société civile du conseil constituant ont probablement été très encadrés par des « spécialistes », histoire de ne rien inventer.