L’illusion de la transparence

Face à l’effondrement économique inévitable de la « zone euro », nos bons dirigeants nous refont aujourd’hui – et sans complexe – le coup de la « transparence ». En effet, les échanges mondialisés d’aujourd’hui sont tous plus ou moins noyés dans d’obscures salles de marché, ici ou là, à l’abri de tous les regards, anonymes et multiples, enfermés dans les disques durs de chambres de compensation ou des paradis fiscaux, et le tout sans aucune possibilité de savoir qui fait quoi. Cela n’a jamais vraiment eu l’air d’inquiéter personne d’autre que ce cher Denis Robert, car en réalité le manque de transparence lié aux transactions financières arrangeait bien tout le monde jusqu’à maintenant.  Mais c’est qu’aujourd’hui le manque de transparence de certains organismes,  les agences de notation qui soufflent le chaud et le froid sur les marchés (et même sur les Etats),   embarrasse fortement le pouvoir politique.

Car le problème est que personne ne semble savoir comment sont faits et défaits tous ces calculs, tous ces montages financiers, ces petits arrangements fiscaux et autres notations obscures. Ce que les gouvernements réclament donc, à travers la transparence, ce n’est pas celle de leurs comportements à eux mais celle de ceux qui les dirigent. Car il faut bien admettre que les véritables gouvernants ne sont plus ceux qu’on élit mais ceux qui possèdent l’argent.

Face à cette mainmise du pouvoir financier sur le pouvoir politique  les gouvernants, confrontés à une crise capable de leur faire perdre leur position, souhaitent pouvoir accéder au jeu des financiers, et c’est ce vers quoi ils poussent actuellement en évoquant la création de leurs « propres » agences de notation (qui leur seront sans doute plus favorables). On devrait pourtant s’étonner que des Etats se soient si longtemps laissés noter par des organismes privés qui sont désormais capables de faire chuter des Etats tout entiers, qui se retrouvent ni plus ni moins qu’au bord de la faillite, avec tout ce que cela implique pour les populations. Car en définitive, l’Etat appartient aujourd’hui à des créanciers privés, créanciers dont le pouvoir immense s’appuie justement sur  l’opacité, le manque de transparence. Les Etats, comme les entreprises ou les matières premières, sont peu à peu devenus des outils de spéculation destinés à faire du profit. Les dirigeants des pays les plus endettés se sont laissés entrainer par des banquiers sans scrupule qui, une fois la crise venue, ont décidé de se payer avec les restes, c’est à dire sur les deniers des peuples concernés.

Et ces dirigeants, considérés comme responsables de leurs « employés », c’est-à-dire le peuple qui travaille et paye ses impôts, qui fait tourner la machine, commencent à se rendre compte qu’en perdant le peuple ils sont en train de perdre aussi leur pouvoir : et c’est pourquoi ils exigent aujourd’hui plus de transparence.

Mais c’est quoi « plus de transparence » ?  Cela signifie-t-il de tout montrer au peuple, d’exhiber au grand jour les fabuleux « trous noirs de la finance » dans lesquels se perdent toutes les manipulations financières ? Le problème c’est que tous ces dirigeants sont tous plus ou moins complices et bénéficiaires de cette opacité, car ils en sont aussi les instigateurs, les artisans. Ce qu’ils souhaitent donc en réalité n’est pas la transparence, mais l’illusion de celle-ci. Sachant pertinemment qu’elle est impossible et peu souhaitable (pour eux), ils préfèreront mettre en place de nouvelles agences tout aussi opaques, mais suivant leurs propres règles. En s’appuyant sur la colère d’un peuple de qui on exige sans cesse plus de transparence (cf tous les fichiers créés pour tracer les moindres actes des citoyens), ils espèrent faire pression sur le pouvoir financier et retrouver ainsi un peu de leur puissance perdue.

Car cette « transparence réclamée » ne peut être totale, ou alors c’est tout le système qui s’effondrerait. La transparence c’est la clarté, la vérité, la réalité. La transparence c’est de pouvoir regarder d’où vient l’argent, par qui il passe, et combien, et où il va.
Tandis que l’opacité est le moyen sur lequel s’appuie le capitalisme pour exister, et les injustices pour se perpétuer : car sans cette opacité (très bien organisée d’ailleurs), c’est tout un chacun qui pourrait s’apercevoir des vols et des mensonges perpétrés par ceux qui dirigent véritablement le monde, les riches. Et c’est bien pour ça que cette transparence n’est qu’une illusion. En réalité, aucun des deux camps qui s’opposent ne la souhaitent totale.  Dans « l’échange, le partage et la double-pensée », j’ai tenté de montrer que l’échange, c’est à dire le commerce, est un vol inévitable, car si chacun avouait ses marges à ses clients, alors c’est tout le système qui s’effondrerait de lui-même.

Et bien imaginons maintenant que l’on devienne réellement transparent : de la même manière qu’avec le site « prix de l’eau« , que les véritables victimes de l’échange montrent réellement la part de leur propre vol pour laisser entrevoir celle des véritables voleurs de cette planète. Et qu’on s’aperçoive enfin que les véritables victimes ne sont ni les petits salaires, ni les chômeurs ni les « illégaux », mais bien plutôt une toute petite fraction de la population, celle qui justement profite de l’opacité du système financier. Que les cadres supérieurs, les artisans, commerçants, chefs d’entreprises petites ou moyennes, paysans et agriculteurs, salariés, fonctionnaires, tous nous sommes certes à la fois « victimes » et « bourreaux », mais surtout victimes. Car les profits gigantesques faits par un petit nombre (10% de la population détient 90% des richesses) ne sont jamais redistribués, car ils disparaissent tous derrière une façade de transparence, les « bilans » et autres « résultats ». Mais que tous les petits patrons des supermarchés ouvrent, un peu à la manière de Wikileaks, les marges de leur entreprise, que les journalistes montrent les liens, les bénéfices et les impôts réellement payés par ces dernières, que les commerçants disent combien ils gagnent vraiment sur les produits qu’ils vendent, que les producteurs affichent le prix auquel ils vendent leur production afin que l’on compare avec le prix auquel ces produits se retrouvent en grand surface (ici)… Que les députés, sénateurs encore soucieux de « déontologie » montrent au grand jour les montants de leurs émoluments, ou comment ils se votent et se conservent moult avantages pour eux-mêmes… Que les entreprises du CAC40 affichent leurs résultats, et combien ils payent réellement d’impôts

Imaginons une véritable transparence, et réfléchissons deux minutes : comment pourrions nous laisser cette situation perdurer sans se révolter ? Créons donc un grand site d’observatoire des prix et des marges faits par les acteurs eux-mêmes, et montrez tout au grand jour, et puis regardez ce qu’il vous reste de votre travail, ce que vous volez vous-même, vous de qui on exige la plus grande transparence afin que ne puissiez détourner le moindre centime, regardez combien vous payez de taxes, ou combien vous coûte votre crédit…, et comparez à ce que gagnent les véritables voleurs de cette planète. Faites-la vous-mêmes cette transparence, et vous verrez la vérité :

la transparence n’existera pas tant que le capitalisme vivra, et le capitalisme ne pourrait survivre un instant à la transparence.

Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr

 

8 Réponses à “L’illusion de la transparence”

  1. Compton Arthur Dit :

    Et vous donnez la conclusion vous-même ou plutôt la réponse à votre proposition de transparence.
    « la transparence n’existera pas tant que le capitalisme vivra, et le capitalisme ne pourrait survivre un instant à la transparence. » entendu que c’est un espoir vain que de croire que ceux qui gagnent beaucoup d’argent et veulent continuer ainsi acceptent l’idée que la transparence leur retire le droit de s’enrichir toujours plus. De même, il est vain d’imaginer que tout individu spolié soit lui même plus vertueux que celui qui le spolie pour la bonne raison que l’argent qu’on fait coexister avec une des tares de l’être et qu’on ne peut lui retirer à savoir la convoitise est incompatible avec celle-ci.
    Songez à ces noirs d’Afrique du Sud qui on combattu l’apartheid et qui se disaient solidaires face aux afrikaner, souvent possédants pour ces derniers. Aujourd’hui, nombre d’entre eux ont exactement le même comportement que ceux qui les dessaisissaient de leur part de droit aux richesses et à la liberté. Oui, ils sont devenus hommes et femmes d’affaires et pour eux ne compte plus que l’argent dont la loi est :  »Plus tu en veux pour toi mieux c’est puisque ton souhait fera qu’il n’y en aura jamais assez pour tout le monde ! » Alors où est la solution ? Certainement pas dans l’idée d’une transparence qui sera forcément arrangée à la sauce des plus riches. La solution est dans le reniement de l’argent, sa prohibition. Mais pour y parvenir, il faudra qu’il y ait eu avant beaucoup de morts ; oui, un lourd sacrifice.

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  2. calebirri Dit :

    @ Compton Arthur

    Je suis presque totalement d’accord avec votre commentaire, sauf pour la fin : les morts et les sacrifices ne sont pas nécessaires, et même nuisibles de quelque côté qu’on les prenne. En effet, même le meilleur des régimes qui serait mis en place sur les restes fumants de nos semblables ne saurait être légitime.

    La question qui se pose après votre conclusion sur l’argent est peut-être celle-ci : si nous parvenions à établir une véritable transparence (sans le consentement des principaux concernés), le peuple aurait-il besoin de se battre pour faire fuir les coupables ? pourrait-il encore croire aux vertus du capitalisme ?

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  3. abdellatif Dit :

    Bonjour, merci pour cet article.

    Votre idée rejoint celle d’un de nos érudits, qui notait aussi , dans la religion démocratique, ce souci de transparence.

    Dans nos pays tiers-mondisés, cela est symbolisé par deux choses assez drôles : l’urne transparent (en plexiglas) et la comédie parlementaire (les disputes, insultes, etc.)

    Bien à vous

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  4. abdellatif Dit :

    Voici la vidéo du discours complet, mais je vous préviens, étant aussi occidental (d’origine maghrébine) cela remet en lumière beaucoup de nos égarements

    Attention, il faudra faire la part des choses mais pas mal de choses peuvent être apprise ici :

    http://www.youtube.com/watch?v=Ley5PdUOOQI

    Je vous suis depuis un moment et j’aimerais votre avis sur cette vidéo, si vous le permettez

    bien à vous

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  5. Fab Dit :

    Abdellatif (((t’as d’la chance :) !))),

    Bon dimanche

    Merci : très intéressant le lien. Mais c’est frustrant de ne pas comprendre (c’est un beau problème aussi que celui des langues) ! J’ai regardé la vidéo et le tout début de la suivante : je me suis arrêté là :

    « Tout ceci donne vraiment un caractère de réelle religion à cette maudite démocratie ».

    Bien vu l’érudit ! [J'ajoute : je n'ai cherché à savoir qui était ce Monsieur qu'après vous avoir répondu. Il semble qu'il y ait des avis différents sur lui, je ne suis pas allé chercher plus loin.]

    Oui il y a souci. Chacun fait ce qu’il veut avec sa croyance, mais si une organisation – qu’elle soit théiste ou pas c’est une organisation – lui impose le quand le comment et le reste de l’organisation de sa vie…il y a problème.

    Alors oui, « chez nous » non plus la démocratie n’existe pas. La crise que l’humanité traverse actuellement est une crise de civilisation : elle concerne tous les pays, tous les peuples, tous les individus, quelle que soit leur organisation. C’est une crise de la démocratie qui s’exprime, de la manière d’organiser un ou le vivre-ensemble où chacun soit libre de ses croyances, et donc nécessairement respecte celle des autres. (Je précise : c’est ce que j’observe de mon de vue. Ce n’est pas une église ou une école de pensée mais mon observation du monde qui m’entoure.)

    « Chez nous », la tyrannie en place est celle de l’échange monétisé qui, par la société de consommation, impose le salariat : nous sommes tellement occupés à produire sans savoir pourquoi, que l’on ne se préoccupe plus de vivre sa vie, on ne la pense plus, donc pas le temps, matériel et formel de s’opposer à ce que certains individus créent des églises autour de leurs idées et finissent par monopoliser l’expression individuelle et démocratique.

    Non, nous n’y sommes pas du tout en démocratie, et oui celle que nous croyons avoir aujourd’hui est « maudite » /?/ médisante /?/, puisque sous prétexte d’un idéal – qu’elle n’a pas atteint et qu’elle ne veut plus atteindre -, elle se permet les pires atrocités vis à vis des autres organisations qui ne se plient pas à sa méthode, et vis à vis de la nature. C’est une attitude prédatrice, colonisatrice, donc bien évidemment a-démocratique.

    Oui il est grand temps de changer. Surtout après l’exemple donné par les révolutions arabes récentes : oui un sentiment de se réapproprier sa vie y est né, qui commence également à être audible « chez nous », mais pour aller vers quoi ? Vers notre modèle « à nous » ? Bien sûr que non ! : ce n’est pas parce que nos rapaces, envoyés spéciaux en mission spéciale pour notre pseudo-démocratie – pardon, pour notre tyran -, qu’ils soient politiciens ou affairistes, se sont précipités « là-bas » pour récupérer tout ce qu’ils peuvent, que nous sommes d’accord avec eux : je rappelle que nous parlons de pseudo-démocratie :) !

    Nous sommes de plus en plus nombreux à prendre conscience du dysfonctionnement « à la base » de ce que nous croyions – par facilité, par habitude d’être dirigés – être LA démocratie. Ça ne l’est pas mais ça soulage de croire (« chez nous » on dit « porter sa croix », « chez vous » c’est quoi-t-es-ce ?).

    Il ne nous reste plus qu’à faire en sorte que ça sorte, qu’ »on » soit entendu !

    Bienvenu à la construction de la démocratie. Enfin quand je dis bienvenu, ça peut être ailleurs aussi :) .

    Et bon dimanche. Oui, « chez nous » c’est le Dimanche. Sauf que nous n’en profitons même plus pour faire le point sur notre vie, pour faire le nécessaire travail sur soi (‘tain : 1 jour par semaine, ça devrait être « C’est pas trop demander quand même ! » !), sur ce que l’on a accompli, pour savoir ce que l’on veut accomplir. Non, on se distrait, ou, on se laisse distraire. Ce qui a du bon aussi : convenons-en !

    Répondre

  6. abdellatif Dit :

    Bonjour Fab,

    Merci pour la réponse franche et sincère.

    Pour le problème de langue de la vidéo que j’ai postée, il y des sous-titres mais je vous rejoins, j’aime aussi comprendre ce que raconte la personne ou le film.

    Je lis un livre très intéressant en ce moment, qui retrace l’histoire et l’origine de la religion Démocratique (ou Athée en fonction d’où l’on se place) et j’ai été étonné que cela remonte à l’apotre Paul càd à la religion catholique.

    Le titre du livre, bien qu’à destination de personne admettant encore une relation de transcendance dans leur vie, est « De l’idéologie islamique française – Éloge d’une insoumission à la modernité » de Aissam-Aît-Yahya.

    Merci pour votre invitation sincère, en espérant que l’Humanité retrouve un peu de sens et de fierté.

    En effet, l’effort devrait être permanent et non-superficiel, merci pour votre rappel.

    Bien à vous

    Répondre

  7. Fab Dit :

    Abdellatif,

    Merci à toi.

    « Abdellatif : un résumé ! Un résumé ! » (j’ai déjà du mal à relire mes propres messages, alors 550 pages !!!)

    Répondre

  8. abdellatif Dit :

    Salut Fab,

    Le site que je t’ai envoyé, ainsi que les revues du livre (google) pourront t’aider à te faire une idée..

    Désolé, je ne peux pas te le résumer car je suis en train de le lire aussi :)

    Je sais que l’époque ne favorise pas cela mais de temps à autres il faut se donner le temps de prendre le temps…

    @++

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