Pour les uns, la grève est le seul moyen légal d’établir un rapport de force
Pour les autres, elle divise le peuple et sape l’économie.
Dans les deux cas, les « pour » et les « contre » s’affrontent à coups d’arguments stériles, se justifiant tous deux par l’intérêt général, c’est à dire une notion très floue qui n’a en réalité que peu de rapport avec l’âge de la retraite, et bien plus avec la somme des intérêts individuels. Cette question n’est pas résolue par l’âge de son départ de la vie active, mais bien plutôt avec ce que l’on fait avant cette date. Ce qui est un tout autre débat, et le coeur inconscient du mouvement qui oppose ceux qui se satisfont de leur sort avec ceux qui ne s’en accommodent pas.
En effet, les opposants à la grève critiquent un mouvement qui leur nuit dans leur quotidien, invoquant pour justifier leur mécontentement les pertes économiques entrainées par le blocage, et les pertes d’emplois qu’il pourrait occasionner. Pour appuyer leur raisonnement, ils regrettent également les violences urbaines, susceptibles de nuire à l’unité nationale et d’attiser les divisions.
En même temps, les grévistes justifient leurs actions par la défense des intérêts de tous, et estiment avoir assez donné pour le système économique. Les pertes d’emplois sont le fruit du trop grand appétit des actionnaires, et les violences sont la conséquence de la surdité du gouvernement face aux revendications du peuple : l’identité nationale c’est la France qui se mobilise
On pourrait s’étonner de trouver le même argumentaire des deux côtés du même concept, mais c’est sans compter sur la double nature de l’homme, capable de toutes les contradictions sans se départir de son sérieux. Pourtant ici, se peut-il que l’un ait complètement tort quand l’autre n’a pas totalement raison ?
Si on ajoute à cela une autre contradiction qu’offre un tel sujet, on peut rapidement sombrer dans le désespoir, car tout se complique encore :
Ceux qui réclament contre la grève au nom de l’intérêt général sont ceux-là mêmes qui d’habitude ne jurent que par l’individualisme, tandis que ceux qui la réclament sont ceux-là même qui, en général, se disent vouloir respecter les désirs de tous. Les uns veulent qu’on force les gens à ne plus manifester, tandis que les autres voudraient forcer les autres à ne plus aller travailler. C’est à y perdre la raison. Le gouvernement, après avoir longuement évoqué la négociation sur le sujet des retraites, dit vouloir faire une réforme juste. Les masses françaises opposées à la politique de ce gouvernement, après avoir dit non, exigent une négociation
D’un côté on veut rendre pénalement responsable un enfant de treize ans, et de l’autre on veut l’empêcher de manifester quand il en a seize. D’un côté on veut faire cesser la violence de certains jeunes, et de l’autre on veut faire respecter l’ordre à coups de matraque. D’un côté on se réfère à la constitution pour défendre le droit de grève, de l’autre on s’y réfère aussi pour justifier le passage en force d’une loi qui déplaît. D’un côté on veut un référendum qui suspendrait la réforme sans avoir rien à proposer en retour, de l’autre on le refuse comme on l’a exigé pour l’Europe, sans être en mesure d’en tenir compte….
Face à toutes ces contradictions, il serait temps de se poser la question véritable : « c’est quoi l’intérêt général ? » c’est celui qui correspond à mes propres intérêts, ou celui qui va contre mais que j’estime juste de défendre malgré qu’il me nuit, parce qu’il sert aux autres ? il est difficile de répondre honnêtement à cette question, et c’est bien là tout le problème. Et l’intérêt général d’une nation se trouve-t-il nécessairement favoriser l’intérêt général « global », c’est à dire mondial, celui de l’humanité ?et là, c’est tout le système capitaliste qu’il faut (ou pas, selon le point de vue) remettre en cause. Le système global qui régit notre planète favorise-t-il, au niveau du nombre, l’intérêt général de l’humanité ? quand on sait qu’un milliard d’êtres humains ne mangent pas à leur faim, quand on sait que 80% des ressources sont possédés par 20% des gens ?
Que faut-il donc faire ? une dictature mettant tout le monde d’accord de gré ou de force, ou une démocratie acceptant les contradictions inhérentes au système qui les favorise ?
Il faut être cohérent à la fin, et cesser de voir les choses à travers la réforme des retraites, au niveau national. Si la dictature est le meilleur moyen de faire fonctionner le capitalisme, une fois atteint ce but c’est le capitalisme qui ne sert plus à rien. Ce n’est donc pas la dictature qu’il faut rechercher, ni la démocratie qu’il faut défendre du capitalisme, mais le capitalisme qu’il faut renverser, pour éviter la dictature et l’illusion démocratique. et peu à peu, c’est bien c’est bien ce qui se passe actuellement : de l’inconscient collectif émerge une conscience citoyenne qui veut se faire entendre, et qui se rend compte des errements de ce monde qui contredit sa volonté d’intérêt général. Ce n’est pas à travers la recherche de la somme des intérêts privés qu’elle sera satisfaite, mais par la recherche du bien commun que les intérêts de chacun seront respectés.
Nous ne sommes qu’à l’aube d’un nouveau monde, et il n’y a qu’à nous de le penser autrement pour qu’il se transforme.
Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr
23 octobre 2010 à 17:24
ll n’y a en effet pas de société avec un secteur capitaliste dominant fortement le secteur social (même si ce dernier est encore important) qui puisse se targuer de satisfaire authentiquement l’intérêt de tous. La notion d’intérêt général ne peut que recouvrir au mieux la notion d’un compromis de classe tel que la social-démocratie le conçoit. Son contenu cache alors sa mystification.
La notion d’intérêt général ne vaut à mon sens que dans un cadre restreint, celui des services publics qui satisfont les besoins sociaux hors tout filtre de profitabilité et hors toute référence au marché et à la solvabilité de ceux et celles à qui ils s’adressent, des usagers et non des clients.
Dans ce cas seulement le service est délivré non seulement aux solvables mais aussi aux non solvables. Il peut alors prétendre se dire d’intérêt général. Dans le détail concret bien des problèmes se posent. Il n’empêche que les services publics comme dispensateur de valeur d’usage sont une anticipation du socialisme via la généralisation d’une économie non marchande.
CD