la décroissance, une théorie économique bien trop sage

La décroissance est une théorie attrayante et qui peut paraître censée, et qui même pour certains semble devoir lutter contre le capitalisme. Mais dans la réalité, et malgré la bonne volonté évidente de ses défenseurs, cette théorie sert moins les idées qu’elle défend que celles qu’elle attaque. Partant du principe que les ressources planétaires sont limitées et mis en rapport avec la soif infinie de consommation des êtres humains, certains penseurs philanthropes et raisonnables ont imaginé qu’il fallait que l’homme se restreigne dans ses mouvements naturels, afin de protéger les futures générations du mal qui ronge notre planète, et qui finira par nous engloutir ensuite. Mais si cette idée est fortement teintée d’humanisme, et qu’elle semble parée des meilleures intentions du monde, il ne faut tout de même pas oublier qu’elle prône clairement une baisse de la consommation maintenant, pour ne pas à avoir à faire face à une brutale pénurie, plus tard.

Mais s’il ne fait aucun doute que je considère la surconsommation comme un mal à combattre, et que pour moi aussi le fait de rechercher à tout prix la croissance est cause de notre surproduction et de la surexploitation des ressources, je ne peux me satisfaire d’une théorie qui frustre les désirs et les espoirs d’un monde meilleur, sans lesquels il est vain de vouloir perpétuer l’espèce humaine.

Car il faut discuter de ce que l’on appelle « croissance », à savoir si elle n’est qu’économique ou s’il faut prendre d’autres facteurs en compte. Et si il est assez aisé de définir ce qu’est la croissance économique (augmentation du PIB, c’est à dire de la production dans un temps donné), il est beaucoup plus délicat d’expliquer ce qu’est la croissance « pure », qui n’est en quelque sorte qu’une augmentation sans objet précis, ou une simple vue de l’esprit. Il faut pour qu’il y ait croissance un qualificatif à y ajouter (la croissance « de quelque chose »). C’est ainsi que la théorie de la décroissance se trouve devenir soit une décroissance « économique », soit une décroissance sans objet. Et une décroissance économique, c’est encore du capitalisme, calculé selon des facteurs économiques, à l’intérieur du système que cette théorie dénonce.

Que veulent donc les « décroissants » ? le retour à une vie plus censée, moins tournée vers la rentabilité et le profit, vers moins de consommation, moins de pollution et plus de morale, de raison ? faut-il alors dénoncer la technologie et ses avancées pour retourner en arrière, se passer de la machine à vapeur et de ses mines de charbon pour partager notre misère avec les autres misérables ? faut-il réapprendre à vivre dans des cabanes en bois insalubres, avec des chevaux pour moyen de locomotion et la bougie pour éclairage ?
Non, personne ne peut vouloir cela, car en quittant le monde de la consommation et de la production ce n’est pas seulement la croissance économique et le capitalisme que nous renverserions, mais aussi et surtout l’idée de progrès, idée sans laquelle l’homme ne peut avancer. C’est nier l’homme en même temps que ses désirs, et faire preuve d’obscurantisme, car nous ne réglerons pas le problème des inégalités et de l’injustice sociale en retournant en arrière, ni en abaissant nos prétentions au point de vouloir devenir tous pauvres. L’égalité, la justice ne sont pas des concepts minimums, orientés selon des critères revus à la baisse pour satisfaire au plus grand nombre, mais au contraire l’expression de la volonté des êtres humains d’accéder tous à « plus » d’une part, et à « mieux » d’une autre.

Consommer moins c’est produire moins, c’est travailler moins, c’est gagner moins. On ne brisera ni le capitalisme ni les inégalités par la décroissance, on ne fera que satisfaire aux désirs de ceux qui veulent licencier sans peine. Et si il est effectivement possible que les riches, à terme, soient contraints à moins de consommation par manque de ressources, ce ne sera pas le signe d’une plus grande justice, mais plutôt le constat d’échec de l’humanité qui ne sera pas parvenu à faire profiter des bienfaits de la civilisation à tous.  La décroissance ne peut pas renverser le capitalisme pour sauver l’humanité, mais l’humanité doit renverser le capitalisme pour parvenir à une croissance juste. Ce n’est qu’une fois le capitalisme supprimé qu’une sorte de décroissance pour certains(ou une croissance pour d’autres) pourra être instituée. Elle doit être le résultat de l’éducation à l’inutilité du superflu, de l’inutile et du jetable, comme une philosophie ou une religion dans laquelle la planète serait le Dieu à honorer. Ce n’est pas la croissance qu’il faut donc supprimer, mais sa définition qu’il faut revoir. Une croissance économique est un contresens, alors qu’une croissance « humaniste » exclut la croissance économique. Ce sont les règles du capitalisme qui impliquent la première définition, et pour en sortir c’est le capitalisme qu’il faut détruire, pas l’humain.

Cette erreur d’interprétation  sur la conception décroissante provient en effet d’un diagnostic erroné, que l’on peut résumer par la phrase d’un certain Kenneth Boulding, « celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Car aujourd’hui nous savons que le monde n’est pas fini. La croissance infinie n’est pas une croissance économique détruisant les ressources, mais la potentialité d’un univers dont on ne connaît pas le quart du millième, et qui peut nous offrir les ressources infinies dont « l’aventure humaine » a besoin pour son développement. Nous savons comment produire beaucoup et propre, renouvelable et durable, juste et équitable. Nous avons la capacité de nourrir et de loger plus et mieux, sans nuire ni à la planète ni à l’être humain.

Mais nous n’y arriverons pas sans devenir un peu fous, c’est à dire en se donnant la possibilité de devenir sages. Pour parvenir à une croissance infinie en symbiose avec la nature (elle-même infinie), il nous faut avoir suffisamment de rêves et d’imagination pour se séparer des concepts négatifs tels que la croissance (ou la décroissance) économique, pour nous projeter dans autre monde, sans économie, c’est à dire sans argent.

La rareté supposée des ressources sur laquelle s’appuie les décroissants est une illusion capitaliste permettant de rendre « vendable » ce qui appartient en commun à l’humanité, car en réalité les énergies comme l’air, le soleil et l’eau sont quasiment inépuisables, pour peu qu’on passe d’une réflexion économique à une réflexion en accord avec l’être humain. Ce n’est donc pas en utilisant moins sa voiture qu’on sauvera la planète, mais en supprimant le pouvoir de ceux qui nous empêchent d’accéder à une ressource gratuite, afin de pouvoir rouler en voitures solaires tout notre saoul. Cela implique donc de remplacer la rareté par l’opulence, de remplacer l’argent par la gratuité.

Alors à tout prendre, je préfère être considéré comme fou, et appeler de mes voeux non pas la décroissance, non pas la croissance, mais à l’abolition pure et simple de l’argent, seul responsable de tous les maux qui nous accablent, et qui détruisent la planète. La gratuité est le seul moyen d’y parvenir, car elle allierait à la fois croissance infinie et justice, et tout cela sans nuire aux ressources offertes par la Nature.

 

Caleb Irri

http://calebirri.unblog.fr

9 Réponses à “la décroissance, une théorie économique bien trop sage”

  1. Betov Dit :

    J’ai l’impression que tu enfonces des portes ouvertes, Caleb. D’abord, il y a décroissance et décroissance. Des noms ! Des noms ! Mon préféré est Paul Ariès. Je suppose qu’il y a autant de décroissances que de décroissants.

    Ensuite, ta question « quelle croissance ? » se retourne parfaitement pour la décroissance: « Quelle décroissance ? » Perso, je n’aime pas l’appellation, et je lui aurait préféré « Mouvement d’Ethologie Politique ». Mais bon… Puisque c’est fait, reste que la meilleure objection à ton développement tient, justement, au fait qu’à la question « la décroissance de quoi ? », la première des réponse se trouve être: La décroissance des inégalités.

    Et cette réponse a la particularité de ne rien avoir d’utopique, ni même de très difficile à atteindre. Pour résoudre le problème nodal des systèmes occidentaux, il faut et il suffit de criminaliser l’excès de richesse. Comment ? Par le plafonnement des fortunes personnelles. Celles-là mêmes qui sont à la racine du système de dominance sociale. Avec quel outil ? Très simple: Il existe. C’est le service des impôts. Comment mettre en place ce plafonnement ? Là, c’est moins simple, puisqu’il ne s’agit de rien de moins que de créer un parti politique de gauche (il n’existe actuellement aucun parti de gauche). Même Chavez discute avec des patrons d’entreprises ! On ne discute pas: On prend ce qui est à nous. Point. Ensuite, on demande aux trop riches d’aller voir aux USA si, là-bas, on a besoin de prédateurs.

    - Un « parti », c’est-à-dire une organisation politique qui présente un PROGRAMME. A l’heure actuelle, même du côté de chez Mélenchon, c’est néant et baratin. Voir leurs vidéos intitulées « Comment gouverner face aux banques ? ». Titre qui serait, en lui-même, une abomination de droite supposant que le peuple reconnaîtrait une part de pouvoir démocratique aux banquiers !!! Quant aux fascistes du NPA et du PCF, n’en parlons pas.

    - De « gauche », c’est-à-dire un programme dont la première ligne soit:  » – Nous proposons de plafonner les fortunes personnelles ».

    Les « décroissants » du genre de Paul Ariès ne sont pas très éloignés de ce principe fondateur. Le discours n’est pas au point, mais ne crachons pas dans la soupe et poussons les plutôt à aller plus loin et à étendre le principe de musellement du chien fou de la dominance sociale. Les lois ne relèvent que de notre choix, et les lois, par définition, ne coûtent qu’à ceux qui les subissent.

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  2. ZapPow Dit :

    Dans la décroissance, il y a divers courants, et certains ont pour but premier l’abolition du capitalisme. Les décroissants se cherchent, expérimentent. Pour ce qui est de l’argent, et de son rôle dans une société, rappelons ces expériences de monnaies locales, de monnaie fondante (Paul Ariès en parle très bien). Le revenu inconditionnel a été testé avec succès dans un petit village de Namibie.

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  3. Betov Dit :

    C’est la principale erreur de Paul Ariès, ZapPow: Le revenu inconditionnel, c’est la fin programmée de l’humanité (effet « 1984″). On ne peut pas remplir le tonneau vide sans commencer par puiser dans le tonneau trop plein. De même, il faut commencer par interdire aux hyper-riches d’exister avant de songer à un revenu inconditionnel. D’abord criminaliser l’excès de richesse… ensuite, voir venir.

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  4. ianatcheck Dit :

    J’apprécie votre réflexion, et je vous suggère d’explorer une voie encore plus folle pour ceux qui pensent que la monnaie est une grande avancée de l’humanité: celle du troc qui permet une modération pragmatique de besoins matériels humains souvent boulimiques. Il y a deux raisons à celà:

    1- La richesse matérielle est mesurée par une grandeur mono-dimensionnelle, le dollar. Cette grandeur est en réalité multidimensionnelle, car chaque qualité matérielle devient indispensable quand cette qualité vient à manquer.

    2- Les économistes opposent économie de concurrence et économie planifiée. Les mêmes qui disent que la monnaie est un grand progrès. Le troc permet en réalité de faire coexister concurrence et rationnement (un peu long à expliquer ici). Les deux sont inévitables.

    Pour les idées, vous appliquez à vous même les principes que vous énoncez. Bien.
    A condition d’assurer au préalable l’économie des ressources matérielles qui sont les bases de notre condition d’humain.

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  5. Ignatius Dit :

    Merci pour ce texte « globalement caricatural » sur « la décroissance ». Là où les objecteurs de croissance multiplent les interrogations, les expérimentations concrètes pour essayer de voir ce qui permet de résister réellement, vous substituez ce qui est exactement à l’opposé de leur/notre démarche : une pensée fermée, dogmatique et péremptoire et surtout coupée de toute réalité.

    Une première piste : quand bien même nous saurions « comment produire beaucoup et propre, renouvelable et durable, juste et équitable », cela aurait-il un sens de « produire » ? Les objecteurs de croissance sont d’abord des anti-productivistes.

    Une seconde piste : qu’appelez-vous « plaisir » ? Ne confondez-vous pas avec « jouissance » et excitation », ces désirs toujours accouplés à la frustration ? Epicure, le grec, n’avait pas besoin d’un monde de croissance pour prop-oser déjà une véritable sagesse : celle des limites.

    Nous vous invitons néanmoins à venir apporter votre contradiction lors de nos rencontres d’été que nous appelons cette années les (F)Estives. Elles auront lieu à Marlhes, les 27, 28 et 29 août.

    Tous les renseignements pratiques sur le site du Mouvement des objecteurs de croissance.

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  6. Lou Florian Dit :

    Moi je trouve votre texte formidable et d’une authentique lucidité. Le concept restrictif de l’argent, seul raisonnement autorisé pour le bien du capital, me semble tellement ringard, que tous les grincheux empoussiérés dans notre système me font rire, tant ils appartiennent à un monde déjà en ruine et qui va disparaître. Votre vision est novatrice, et vous verrez, dans le monde qui vient, vous ferez partie de ceux qui avaient raison ! Lou Florian

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