Quand j’évoque le sujet de la gratuité, la discussion finit toujours par aborder un thème sensible, la méchanceté naturelle de l’homme, incapable de se motiver pour autre chose que pour lui-même. L’homme serait intrinsèquement vil, et il est impossible de le motiver à quoi que ce soit sans la carotte et le bâton, qui sont symbolisés dans certaines sociétés par la récompense ou la punition divine, dans d’autres par la récompense en nature ou le châtiment corporels, et dans les dernières par la richesse ou la pauvreté.
Ces trois manières de penser peuvent se juxtaposer, s’interpénétrer, mais ont toutes en commun le fait d’appartenir à un système de jugement des actes humains à caractère divin, que la justice des hommes soit ou non consciemment considérée comme telle, ou que celle du matérialisme le soit également, au travers du dieu « argent »
Mais que l’on soit d’accord ou non avec cette interprétation, il ne fait cependant aucun doute que quel que soit le système utilisé pour faire vivre les hommes en société, un système de « récompense/punition » semble devoir être mis en place, afin donc de corriger les errements naturels de l’homme.
Ce résultat est sans doute celui qu’ont contribué à construire tous les dictateurs de tous temps, car un tel moyen de pression justifiait à la fois leur pouvoir, mais aussi l’apparente injustice dont étaient victimes les hommes. Si un homme venait à « rater sa vie » (peu importent les critères choisis selon les époques ou les lieux), il y avait toujours une raison à cela, bien sûr indépendante de la volonté du gouvernement en place : il n’avait pas suivi les préceptes de la religion, ou ceux de la Loi, ou encore ceux du libre-échange. C’était de sa faute. Son libre-arbitre censé l’éclairer n’avait pas réussi à vaincre ses bas instincts, et ni Dieu, ni le gouvernement, ni le système n’en étaient responsables, malgré toute leur omnipotence et leur omniscience. Ne pouvant accepter d’être faillibles, la faute ne pouvaient en revenir qu’au diable, ou à la méchanceté intrinsèque de l’être humain.
Mais ce qui est étrange avec les religions, c’est qu’elles semblent toujours finir par servir ceux qui suivent le moins leurs préceptes : l’église prône l’abstinence et la pauvreté, et gagne des fortunes tout en outrageant la chasteté, les dictateurs prônent l’ordre et la paix, et font la guerre en mettant partout le désordre, les capitalistes favorisent le libre échange, la transparence et la justice, et ce sont les pires canailles ne respectant aucun des principes édictés que l’on trouve aujourd’hui à la tête de fortunes immenses. Ce serait à se demander si, finalement, Dieu, ou le Marché, le « Tout-puissant », posséde vraiment les qualités dont on l’accable… à moins que ce ne soient que ses interprètes qui, par un subtil renversement de paradigme, sont parvenus à faire entrer l’échec des préceptes dans les préceptes originels : les sept péchés capitaux, par exemple, sont des faiblesses humaines naturelles, voire des plaisirs sains… le nombre incalculable de lois promulguées, transformées, abolies puis remises à jour, soutenues par une seule « nul n’est censé ignorer la loi » implique forcément l’impossibilité d’y parvenir, tout comme le fait de prôner la liberté d’entreprendre sans l’autoriser dans les faits, faute de crédit accordé à celui qui n’a pas déjà entrepris…. l’échec de l’application des préceptes religieux est en réalité inscrit dans ces préceptes, et ce n’est sans doute pas par hasard…. à moins bien sûr que de vouloir confondre le dieu et le diable, le président et le dictateur, le capitaliste et l’esclavagiste…
Après ce constat, la question est celle-là : à quoi servent donc les religions, puisqu’elles établissent des règles qui aboutissent par faire « réussir » les seuls qui les enfreignent ? les pauvres survivant dans la misère espèrent soit un paradis hypothétique pour supporter leur souffrance, soit un coup médiatique pour les sortir de l’anonymat, ou se retrouvent en prison pour avoir tenté d’échapper à la misère avec une combine d’amateur….tandis que les tricheurs, voleurs et menteurs de grande envergure finissent pas vivre somptueusement, ne jamais se faire rattraper par la justice, et se moquent de l’enfer comme du paradis…
C’est comme si les religions avaient été inventées non pas pour apaiser les souffrances des hommes, mais pour les lui donner. Qu’elles soient physiques ou morales, ces souffrances servent un pouvoir qui les exploite, et qui lui offre comme consolation l’un ou l’autre des espoirs qui ne viendront sans doute jamais.
Je ne suis pas le seul à penser ainsi, et on sait trop bien combien de guerres ont été menées, combien d’esclaves ont péri, combien de souffrances ont été supportées par les hommes au nom des religions, quelles qu’elles soient.
Ensuite, il serait bon de s’interroger sur la nécessité des religions… car croire en Dieu ne peut-il pas se faire sans règles ? l’homme a-t-il besoin de se cacher derrière des concepts inatteignables pour justifier ses exactions ? l’injustice ne peut-elle pas s’assumer au grand jour comme aux temps de l’esclavage ? Non, bien sûr, car ces règles sont dictées par les hommes, et seuls les hommes ont le pouvoir de les changer, ou de les abolir.
Mais si les religions, au lieu de sortir l’homme de sa méchanceté intrinsèque, le rendait méchant pour des raisons économiques et sociales, afin de protéger ceux qui détiennent le pouvoir ? et surtout, et si cela était volontaire et consciemment élaboré par de fins psychologues avides de pouvoir ?
Car le bien et le mal sont des concepts relatifs inventés, définis et décrits par les hommes. Si Dieu existe et qu’il est vraiment tout puissant, alors soit il ne juge pas les actes humains, ni ne les punit, soit il n’autorise pas le mal.
Et si l’homme est mauvais, alors les religions actuelles ne fonctionnent pas, et ne sauraient y arriver. Il faut soit changer nos conceptions, soit accepter et assumer nos contradictions.
Après toute cette digression, comment maintenant envisager un monde où le don serait la règle, sans recourir à la religion ? c’est bien là tout le problème. Car pour inciter les gens à donner sans échanger, à partager sans garder, à travailler sans contrainte, à vivre sans peur, à penser à autrui, il faudrait tout d’abord pouvoir balayer d’un seul coup près de 3000 ans d’Histoire et de religions, pour pouvoir instaurer une nouvelle manière non seulement de concevoir le divin, mais aussi et surtout de voir l’homme d’une façon radicalement opposée à celle qu’on nous inflige depuis toujours. Il faudrait que les hommes prennent conscience de leurs forces et de leurs faiblesses, et prennent la véritable mesure de leur humanité : un amas de contradictions insolubles, une complexité chaotique formant un tout relativement homogène, une création insensée de la nature, à la fois capable d’amour et de haine, de violence et de douceur, une harmonie des contraires. l’Homme n’est ni bon ni mauvais de manière innée, mais son but est de parvenir d’une part à s’améliorer, et d’une autre à transmettre son amour des autres , sa confiance en l’avenir, par le biais de la filiation.
En fin de compte, le pire est qu’on constate que cet homme est bien celui qu’évoquent toutes les religions, mais par un étrange subterfuge, qui n’a rien de divin, les hommes détenant le pouvoir de nous éclairer sur les messages délivrés font aujourd’hui comme hier, et quelle que soit l’église : ils préfèrent nous indiquer les comportements à suivre plutôt que de nous apprendre à lire, et à comprendre par nous-mêmes pourquoi il faut les suivre. Ainsi, ils y déversent à la place leurs propagandes, et rendent les hommes serviles au lieu de les libérer.
Mais le jour où les hommes auront compris que qu’ils ne sont pas les victimes des Dieux mais celles des hommes, alors ils brûleront tous leurs veaux d’or pour recouvrer leur liberté. Quand ils auront pris conscience qu’en changeant les règles les souffrances peuvent disparaître, alors ils retourneront à leur véritable essence. Car lorsqu’ils auront cessé de croire à leur méchanceté naturelle, ils seront déjà meilleurs. Et la religion sera alors de nouveau au service des hommes.
Caleb Irri
http://www.calebirri.unblog.fr
26 juin 2010 à 15:34
Ce n’est pas en mélangeant allègrement des notions comme croyance et religion, morale et partage, don et équité, etc… que les choses vont avancer, Caleb.
La religion n’a rien à voir avec les croyances. On en a un assez bon exemple avec le boudhisme qui, dans son coeur de doctrine réelle, n’implique aucune croyance, même pas celle en la réincarnation. Mais si on voulait discuter la chose, je prendrais un exemple plus évident: Le football. Au plus, il pourrait s’agir d’une croyance qui consisterait à penser que quand un ballon entre dans des buts, il se passe quelque chose, ce qui ne constitue pas une croyance, au sens où on l’entend ici.
Pourtant, le football est indiscutablement une religion: Des gens se réunissent pour réaliser cette cérémonie, les comportements sont prescrits ou proscris, la valorisation du non-sens se voit élevée au rang de suprématie de l’être et, finalement, cette cérémonie valide la dominance sociale en justifiant des salaires des grands patrons.
Qu’un individu ait une croyance au sujet du Père Noël, des elfs, ou des martiens, n’a strictement aucune importance, ni aucun effet social. La religion n’est pas le fait de croire ensemble à quelque chose qui n’existe pas. C’est le fait de s’organiser socialement pour donner une importance capitale à quelque chose qui n’a aucune importance, et moins cette chose insignifiante ou absurde a d’importance, plus il est impératif d’en faire l’essence même de la vie, pour la sublimer.
La religion, au final, n’est que le symptôme de l’impossibilité, insupportable pour certains, de traverser le vide de sens sans s’appuyer sur les murs de la folie.
A ce titre, le laïcité, autorisant les mouvements religieux au prétexte d’indifférence, est une forfaiture basée, justement, sur la confusion si pratique entre croyance et religion, c’est-à-dire entre une opinion individuelle, qui ne regarde personne, et un mouvement social de perversion des esprits qui, pour le moins, se devrait d’être puni par la loi, comme l’est la transmission volontaire du sida.
29 juin 2010 à 0:39
Il me semble que dans le vent de liberté qui a soufflé durant les années 60-70, des communautés se sont constitués prônant plus ou moins une rupture avec ce qui est vécu jusqu’à présent comme modèle de société sans vraiment persister dans le temps, de là à dire que des modèles alternatifs seraient tous voués à l’échec je ne voudrais m’avancer.
La fortune de l’église avait été une des reproches formulés par la Réforme si mes souvenirs des cours d’histoire sont bons. Quand à l’abstinence, il semble difficile de nier l’existence d’un lien quand à la forte prévalence de cas de rupture de celle-ci avec le voeu de chasteté obligatoire pour rentrer dans les ordres. Cependant, il faudrait également prendre en compte le contexte des sociétés occidentales actuelles qui n’est franchement pas évident à supporter pour quelqu’un choisissant cette voie. Dans le même ordre d’idée par exemple, l’Islam insiste sur l’interdiction des relations sexuelles hors-mariage, mais dans une société où avoir des relations à l’adolescence et hors carde du mariage est la norme et alors qu’un jeune dans la force de l’âge est naturellement attiré par cela, il est naturellement plus difficile de s’abstenir que dans une société plus conservatrice.
Sur la chasteté et l’Eglise, humblement, je pense que l’Eglise devrait revoir sa position mais cela ne me concerne pas directement donc mon avis… Ensuite, il ne faudrait pas généraliser. Ce serait, un peu comme si qu’on considérait que tous les musulmans sont des terroristes en puissance.
Pour reprendre un exemple souvent donné par les religieux, si Dieu n’autorisait le mal Il ne pourrait mettre les hommes à l’épreuve. C’est ce qui distingue les anges des hommes par exemple. Un ange n’étant pas tiraillé par diverses émotions et penchants aussi contradictoires que puissants et ne vit que dans et pour l’obéissance à Dieu.
Quand au jugement et à la punition, les religions indiquent qu’il se fera dans l’au-delà (à quelques exceptions près).
Là aussi, je trouve l’assertion pour le moins exagéré. Ce serait oublié que ce que les religions (autre que celles de l’argent) promettent c’est la réussite dans l’au-delà et pas nécessairement dans celui-ci. Et encore que, qu’est ce que « réussir » au final ?
Et humblement, pour vivre dans un milieu profondément religieux, je connais plein de gens qui ont réussis sur divers plans et que ce soit humainement, socialement (sans devenir une star)ou économiquement (certes sans être les plus fortunés) en s’efforçant de respecter des règles religieuses. Après, bien sûr que l’on trouvera plus riche, plus reconnu socialement mais plus apaisé et plus généreux par exemple ça devient plus difficile.
Pour finir, dans certaines religions, on enseigne que Dieu ne change pas la condition d’un peuple (positivement) tant que ceux-ci ne se changent pas en 1er et ne font pas un effort sur eux-mêmes.
Mis à part ces quelques points et le fait que j’ai une vision totalement opposé sur le sujet, cela reste un article intéressant à lire. : )