Monsieur Lordon, comme monsieur Jorion, ont proposé il y a peu deux mesures fortes dans le but de résoudre la crise économique. la première étant de supprimer les bourses, la deuxième d‘interdire les paris sur les fluctuations. si je suis tout à fait d’accord avec leur raisonnement (ainsi qu’avec la plupart de leurs analyses), j’ai pourtant quelques sérieuses réserves quant à leur application possible, dont je vais vous faire part ici.
pour commencer, je voudrais signaler que la crise économique dans laquelle le monde semble plongé trouve son origine non pas dans l’économie, mais dans la morale qui encadre le système tout entier. Il est donc pour moi impossible d’y trouver une réponse économique, car la solution est philosophique, et répond à la question : sommes-nous prêts à accepter la misère du plus grand nombre pour satisfaire les besoins du plus petit ? à partir du moment où l’argent est entré dans le jeu, il faut soit suivre ses règles et accepter ses conséquences, soit changer de jeu. modifier les règles ne serait que provisoire, car les changer une fois c’est les changer plusieurs fois…on tourne en rond.
La règle du jeu, c’est là toute la question du capitalisme, qui implique malgré son apparente a-moralité une conception de la justice se définissant ainsi : tout ce qui rapporte est bon. Car c’est bien de justice qu’il s’agit : si ce sont les règles humanistes de morale qui s’appliquent, alors il est injuste que certains gagnent des millions pendant que la plupart des autres ont du mal à survivre. Mais si ce sont celles du capitalisme, alors cela est juste.
Comme le décrivait si bien monsieur Lordon dans son intervention à l’émission de Daniel Mermet (« là-bas si j’y suis« ), les agrégations de structures privées au cours de l’extension du libéralisme ont finalement permis la prise du pouvoir effectif par l’intermédiaire de leur puissance financière. Ces structures se sont ainsi retrouvées en position d’être des concurrents sérieux face à un pouvoir politique qui, lui, se devait encore de réfléchir en terme de « justice sociale ». Mais la justice sociale n’étant pas rentable,alors les entrepreneurs privés ont exigé, au nom de la concurrence et donc du citoyen, la « liberté d’entreprendre ». Les services publics, fortement déficitaires et peu à peu considérées comme une forme de monopole (elles empêchaient le venue sur le marché d’autres acteurs), pouvaient très bien être assurés par le privé. Et l’argent manquant à l’Etat, la privatisation des services publics était inévitable. Car réfléchi en termes économiques, aider les autres n’est pas juste.
C’est à partir de ce moment que, dans leur course folle au profit, les pouvoirs financier et politique se sont unis, et se voient aujourd’hui disposer des pouvoirs de décider de la justice, ainsi que du contrôle des libertés. Pour que cette alliance fonctionne, il faut que la justice sociale et la justice économique trouvent un terrain d’entente : la justice du droit.
Et en finançant la politique par l’argent, le pouvoir financier trouve un lien pour justifier sa conception de la justice capitaliste. la politique a le pouvoir sur la loi, et donc peut faire voter des lois qui remettent en cause la justice sociale au profit de la liberté, c’est à dire celle de faire du profit. Au passage, les politiques, qui ne sont en réalité que des intermédiaires, touchent une commission pour avoir facilité le travail.
mais si la finance a besoin de la politique pour « légaliser » l’injustice sociale, le pouvoir politique a aussi besoin de la finance pour continuer à détenir le pouvoir de faire les lois. Et ce pouvoir ne permettra jamais ni de supprimer les bourses, ni d’interdire les paris sur les fluctuations. Parce que faire cela, c’est déjà abaisser les commissions des politiques, mais pas seulement. C’est aussi faire gagner moins d’argent aux actionnaires (les gros comme les petits, ceux qui financent par agrégation ces commissions, et les gros salaires).
Ces grands agrégats privés créés, et qui ont donc peu à peu pris le relai des services publics, ont en même temps entrainé le pouvoir politique dans une spirale de dépendance financière infernale. Prisonnier de cette spirale, il ne peut s’en sortir (puisqu’il traite le social à travers ses partenariats avec le privé et se doit quand même pour être réélu d’assurer un minimum de social) qu’en négociant économiquement ces services…dans un rapport de force sans cesse à son désavantage, ainsi qu’à celui des citoyens.
Ces grands agrégats ne pouvant, selon leur logique, que chercher un maximum de profit, ils ne s’arrêteront d’en vouloir plus que lorsque les individus seront tellement contraints par leur rythme de travail qu’ils ne seront plus aptes à travailler. Mais les hommes sont résistants, et pour se protéger face aux contestations, le pouvoir financier exige dorénavant la modification du droit pour rester dans la légalité… et pour cause, si le gouvernement ne veut pas garder ses entreprises au sein de son pays, il va bien falloir qu’on rogne sur quelque chose : la justice sociale. Car la concurrence est partout, et l’avance technologique des pays dits développés tend à se réduire avec le temps : la faute à la mondialisation…
Une mondialisation que les pays riches tentent de conserver à leur avantage. Pour préserver cette avance et éviter des désagréments judiciaires, des nouvelles lois comme ACTA vont ainsi permettre de protéger les brevets, droits d’auteurs, ainsi que de supprimer, en même temps qu’elle offrira des revenus supplémentaires aux grands groupes technologiques de surveillance, la contestation dont internet est un média porteur. De même pour la nouvelle loi concernant la suppression du juge d’instruction (en même temps que de réduire considérablement le temps de prescription concernant les affaires…de corruption bien sûr!), qui nous éclaire sur les intentions de nos élites.
c’est donc en regardant les choses sous l’angle philosophique que l’on comprend pour quelles raisons on ne fermera pas les bourses, ni n’interdira les paris sur les fluctuations : à moins que de remettre en cause tout l’équilibre du monde (et la domination de l’argent et du pouvoir unis contre la justice sociale, au nom de la liberté et de la concurrence), personne ne peut envisager la mise en place de ces deux mesures. Car si une telle mesure était prise, tous les gouvernements des pays riches se trouveraient très vite sur la paille, les entreprises quittant les territoires concernés pour aller s’installer ailleurs… nous conduisant rapidement dans la position des ces immigrés sur qui l’on jette l’opprobre.
Alors qu’une fois les pouvoirs financier et politique associés, la justice dépendante et les libertés contrôlées, c’est à un bien meilleur avenir qu’ils s’occupent, comme tous les gouvernants de tous les pays en difficulté, et à toutes les époques : aller chercher les richesses là où elles se trouvent, comme en Irak ou en Iran… on attaque la population, on détruit son infrastructure, on place un nouveau chef, on asservit la population, et on la fait travailler pour pas cher au profit de nos monopoles qui servent les intérêts communs des deux précédents pouvoirs… en nous laissant un peu tranquilles… même si cela est injuste.
La seule question reste de savoir si, comme à l’époque coloniale, on se battra aussi ensemble…
Alors, pour toutes ces raisons, non monsieur Lordon, non monsieur Jorion, ce n’est pas les bourses qu’il faut supprimer ni les paris, mais l’argent. Si on veut aller jusqu’au bout de votre raisonnement, la seule manière d’atteindre à la fois la justice et de conserver la liberté, c’est de supprimer l’argent. Et assumer le fait qu’il faut cesser de faire de l’économie, pour retourner à la philosophie.
Caleb Irri
http://www.calebirri.unblog.fr
3 mars 2010 à 14:12
Du bavardage sans intérêt. Je recommande à l’auteur une bonne cure à Oléron, il a besoin de repos, et de calmer sa paranoïa…
3 mars 2010 à 20:34
Très intéressant, je reviendrai…j’ai moi-même défendu cette idée de la suppression de tout argent…inutile de vous dire que je me suis fait dégommer en beauté, et même par les amis…je ne sais pas si j’ai des ami(e)s en fait…
Bon, je ris bien sûr, mais c’est vrai que les débats étaient rudes, comme si la suppression de l’argent arrachait la tête des gens…
A bientôt et venez me voir, pour rire jaune, sur mon blog…
Les paranoïaques, ce sont les financiers qui organisent ce monde comme il est, et le précédent commentaire en témoigne sûrement… sûrement quelques intérêts à défendre… quelques petites actions… comme la plupart.
Dernière publication sur FICTIONS et FRICTIONS : La glycine
3 mars 2010 à 22:06
A la différence du DR autoproclamé Christiane, je suis d’accord avec l’auteur : la bourse et les paris ne seront pas interdits, car les politiques ne croient pas au droit pour chacun de vivre, ils croient à la hiérarchie sociale : une élite privilégiée et des masses de laissés pour compte.
Par contre, la solution qui consiste à supprimer l’argent n’est pas possible, car il ne resterait que le troc comme moyen d’échange, et il n’est faisable que pour de petits services réciproques, et encore…
Une solution serait que l’argent soit créé par l’Etat, et non par les banques, comme actuellement, et que les intérêts rapportés par les crédits
aux particuliers et aux entreprises soient versés à l’Etat pour financer ses dépenses.
En parallèle, il faudrait que les entreprises accordent une rémunération plus importante aux salariés, pour stimuler l’achat de biens et par conséquent la production.
Tout cela serait possible par la création d’un nouveau parti, un parti du peuple, mais le peuple n’est pas uni et ne croit plus en la politique, ce qui fait qu’il va payer la crise provoquée par la cupidité des élites.
4 mars 2010 à 10:06
Les solutions sont si évidentes et si simples, que la seule question qu’on puisse se poser, est de savoir pour quelle raison elles (ces solutions) ne sont jamais envisagées. Etant donné que les diverses analyses sont généralement bonnes, cette raison doit être vraiment sérieuse.
D’abord, les solutions.
1) Museler la dominance sociale. Rien de plus simple. Il faut et il suffit de plafonner les fortunes personnelles sur cinq millions d’euros. Au grand criminel qui possède 15 milliards, le fisc dira: « Monsieur, vous nous devez 15 milliards, 995 millions. Cette simple mesure serait de nature à résoudre l’essentiel des problèmes, en « faisant fuir les riches ».
2) Promouvoir des règles auto-évidentes, comme:
- Ce qui est collectif par nature et par destination (santé, énergie, équipements routiers, …) ne peut pas être privé. Privatiser un bien manifestement collectif, comme le savoir, ou la biologie, est un crime.
- La structure d’un ensemble dépend de sa quantité. Exemples: La structure raisonnable pour une entreprise d’un ou deux producteur(s), est l’artisanat. A vingt personnes, la structure SCOP est souhaitable. A plusieurs centaines, une économie mixte est applicable. A plusieurs milliers, il ne peut s’agir que d’une entreprise nationale.
- La charge de la solidarité doit peser, en totalité, sur le consommateur et en aucun cas sur le producteur.
- L’inventivité humaine étant collective, le droit d’auteur est un crime.
3) Promouvoir la conception des « aires d’applications ». Chaque phénomène une « surface ». Par exemple, la production de carottes a une aire d’application allant de quelques mètres à quelques kilomètres. La production de voiture a une aire d’application régionale (continentale). La connaissance scientifique a une aire d’application mondiale.
Aucune de ces évidences ne semble jamais devoir monter à la surface des choses. Parlant de la dominance sociale et de son corollaire, la disparité obscène, c’est d’autant plus étonnant que toute l’histoire de l’humanité s’est faite sur la résolution des violences physiques inter-individuelles, et par sa récupération par les états, qui, eux-mêmes, ne sont rien d’autre que les résultats des guerres. On peut dire que le problème de la violence est à peu près résolu, de nos jours, sauf pour les USA, qui continueront de menacer le monde entier, encore un certain temps.
Pourquoi, donc, la dominance sociale, ne peut-elle être mise sous le contrôle de la raison et de la loi, comme il a été fait de la violence individuelle ? La réponse semble s’imposer: Parce que nous voulons tous de la dominance sociale. A partir de là, il n’y a plus rien d’autre à faire que de regarder comment la nature gère la croissance des espèces, et à cultiver son jardin avec soin et amour, en attendant notre fin naturelle.
Bien sûr, que quand on remonte la chaîne des causes, la solution réside dans la morale, et dans la philosophie. C’est aussi dénué de portée effective que de dire que la base de l’humanité est dans la nature humaine. Si évident, que, pour le coup, il ne sert à rien de le dire.
5 mars 2010 à 16:36
Entièrement d’accord en gros avec ces solutions…ne nous manque plus que le parti pour le dire et pour combattre et l’imposer….
Sur les problèmes de violence résolus, je ne suis en revanche pas trop d’accord…division entre sexes, générations, pays, etnies, religions avec le communautarisme…la violence est en recrudescence faute d’avoir mis en place vos solutions qui garantissent effectivement la paix sociale à mon avis.
A moins que je n’aie pas compris votre propos…
Dernière publication sur FICTIONS et FRICTIONS : La glycine
5 mars 2010 à 17:56
Si, Basilic, tu as certainement compris, mais, peut-être, en faisant ce que je nomme « la généralisation abusive ». Bien sûr, la violence et la dominance sont inhérents à la nature. Les lois anti-assassinat ne peuvent pas éradiquer complètement les meurtres. Elles les limitent à un niveau raisonnable. De même un musellement de la dominance sociale par l’impôt, ne supprimerait jamais la dominance naturelle. Il pourrait rendre la société viable, ce qui serait déjà pas mal, à un moment de l’histoire où tout semble annoncer l’effondrement général.
Ce dont je ne finis pas de m’étonner, c’est du fait qu’il existe de multiples lois de confinement de la violence, et absolument aucune qui viendrait confiner la dominance sociale, malgré toutes les évidences qui sont sous nos yeux. Protester contre le fait que les financiers soient des rapaces, c’est un peu comme reprocher à un chien enragé de mordre, tout en se gardant bien de lui mettre une muselière.
Ni la solution de Jorion, ni celle de Lordon, ni celle de Caleb, ne peuvent constituer cette muselière.
- L’interdiction des paris sur les prix est une stupidité manifeste, puisqu’il est (heureusement) dans la nature humaine de spéculer sur le futur. D’autre part, que les prix « varient » est une nécessité qui n’est pas à démontrer.
- Fermeture de la bourse. Lordon lui-même, à la fin de son émission radio, doute que cela soit faisable sans changer de fond en comble la totalité des structures sociales. Sans vue d’ensemble (qui pourrait prétendre avoir une vue d’ensemble ?), ça risque fort de partir en sucette.
- Supprimer l’argent… je suppose qu’il s’agit d’humour provocateur de la part de Caleb, mais comme je suis un peu hermétique à l’humour « djeune », ça ne m’a pas semblé évident à première lecture. Si ce n’est pas de l’humour, je lui rappelle que l’argent existe depuis le début du stade d’évolution néolithique et que les moyens d’échanges (pure conventions sociales) n’ont jamais été la cause des distortions.
2 avril 2010 à 9:55
bonjour,
je découvre votre blog. Je salue la qualité de votre pensée et de votre écriture. C’est un plaisir de vos lire, et j’apprécie notamment le nouvel éclairage que vous apportez à cette crise dont je suis l’évolution depuis son début.
@Christiane
Réflexion stérile d’une personne qui a peur de voir s’écrouler son monde construit sur la misère du plus grand nombre. Tu as fini par penser que ce que tu possédais était le juste mérite de ton travail, alors que tu n’es juste l’intermédiaire d’un système, dans lequel tu ne crées rien, où tu mises comme au casino, ou encore tu fais suer un peu plus tes semblables pour produire le même bien mais en y ajoutant ta marge.
Rien d’autres.